« When They See Us », le combat de cinq hommes condamnés à tort

La mini-série réalisée par la productrice engagée Ava DuVernay se concentre sur l’affaire des « Exonerated Five » (« Les Cinq Disculpés » en français), plus connus sous le nom des « Central Park Five », cinq adolescents condamnés à tort pour le viol d’une joggeuse en avril 1989. Elle dénonce le racisme dont ont fait preuve les forces de police new-yorkaises et le système judiciaire américain.

when they see us
Les “Exonerated Five” lors de l’émission spéciale d’Oprah Winfrey (Capture Instagram @whentheyseeus)

C’est l’une des affaires les plus emblématiques des États-Unis. La mini-série « When They See Us » (« Dans leur regard » en français) retrace le traumatisme vécu par cinq adolescents, âgés de 14 à 16 ans, injustement accusés du viol d’une joggeuse en avril 1989 à New York. À l’époque, les médias les surnomment les « Central Park Five ». Aujourd’hui, ils préfèrent être appelés les « Exonarated Five », ce qui signifie « Les Cinq Disculpés ».

Cette nuit-là, une femme de 28 ans nommée Trisha Meili entre dans le parc pour courir alors que plusieurs dizaines de jeunes, afro-américains et latino-américains, se rassemblent à proximité de Harlem pour faire la fête. Certains adoptent un comportement violent et s’en prennent à des passants. Les autorités pensent immédiatement que les deux événements sont liés. Mais aucun élément ne le prouve. La victime, qui a survécu, ne se souvient pas de la soirée.

Antron (Caleel Harris), Yusef (Ethan Herisse), Korey (Jharrel Jerome), Kevin (Asante Black) et Raymond (Marquis Rodriguez) sont des « cibles faciles » pour Linda Fairstein, la célèbre procureure en charge de l’affaire, jouée par Felicity Huffman.

https://www.youtube.com/watch?v=u3F9n_smGWY

Aucun antécédent judiciaire

La mini-série, réalisée par la productrice engagée et activiste Ava DuVernay, dénonce le manque de preuves, les conditions des interrogatoires (notamment l’absence d’avocats), le traitement médiatique, la violence verbale et physique subie par les cinq adolescents. Elle tend à les humaniser en montrant leurs points de vue. Tout particulièrement celui de Korey Wise, qui a purgé la peine la plus longue, tout au long du quatrième et ultime épisode. Le jeune homme ne faisait pas partie des suspects. Il accompagnait seulement son ami Yusef au commissariat. Mais face à la pression exercée par un agent de police, il a fini par formuler un faux témoignage.

« Le mot ‘coupable’ a été répété tellement de fois dans le tribunal que je ne pouvais plus compter. Ils nous ont dit de mettre nos mains derrière notre dos, nous ont amenés à l’arrière, nous nous sommes enlacés et nous avons pleuré. C’étaient des pleurs douloureux », confie Yusef Salaam lors d’une émission spéciale organisée par Oprah Winfrey. Les quatre ados âgés de moins de 16 ans au moment des faits ont passé six ans dans un centre de détention pour mineurs. Korey, qui avait déjà 16 ans à l’époque, a purgé une peine de 13 ans dans une prison réservée aux adultes, dont une grande partie en isolement.

https://www.instagram.com/p/ByGEFJMlI1K/

Les cinq jeunes n’avaient aucun antécédent judiciaire. Ils ne connaissaient pas le fonctionnement du système judiciaire américain. C’est ainsi que la police new-yorkaise a obtenu de faux aveux dans le cadre de déclarations filmées, écrites, signées et mêmes verbales. Pensant qu’ils pourraient ensuite rentrer chez eux, Antron, Yusef, Korey, Kevin et Raymond se sont accusés mutuellement. Leur garde à vue a duré près de 30 heures. Ils ne pouvaient ni manger, ni boire, ni dormir.

Exonérés, mais pas libérés

« En tant que procureure, au moment où l’ADN ne correspondait pas, que ce soit des empreintes digitales, des marques laissées par des chaussures, des cheveux, des prélèvements sanguins, des vêtements, (Linda Fairstein) a eu une chance de prendre du recul et de réévaluer […] Elle avait le pouvoir de bien agir, mais elle a échoué », déplore Raymond lors de l’émission spéciale.

https://www.instagram.com/p/Bzdnn-Ml7jg/

Treize ans après les faits, les cinq hommes sont exonérés. Le véritable coupable du viol de Central Park, Matias Reyes, se dénonce volontairement. Le récidiviste fournit des détails précis que seul le violeur connaît. Un an plus tard, en 2003, ils poursuivent la ville de New York pour discrimination raciale, poursuite abusive et détresse émotionnelle. Ils obtiennent un dédommagement à hauteur de 41 millions de dollars. Une somme qu’ils doivent se partager et qui ne rattrapera pas les années perdues.

Peu de temps après, Raymond fait appel à Ava DuVernay sur Twitter pour qu’elle raconte leur histoire. Après une carrière dans la publicité, la jeune femme s’est d’abord distingué au travers du registre des documentaires. Avec « This Is The Life », dans lequel elle retrace l’histoire du mouvement hip hop dans les années 1990 aux États-Unis. En 2012, elle devient la première femme afro-américaine à recevoir le prix de la meilleure réalisation au festival du film de Sundance, pour « Middle of Nowhere ». Deux ans plus tard, elle dirige un biopic sur la lutte de Martin Luther King, grand défenseur des droits civiques, intitulé « Selma ». En 2016, elle crée « 13th », un documentaire portant sur le 13e amendement de la Constitution américaine qui abolit la servitude involontaire et l’esclavage.

Réapprendre à vivre

« When They See Us » a récemment remporté 16 nominations aux Emmy Awards dans les catégories suivantes : meilleur acteur principal dans une mini-série ou film pour Jharrel Jerome, meilleure actrice principale dans une mini-série ou film pour Niecy Nash (Delores Wise) et Aunjanue Ellis (Sharonne Salaam), meilleure réalisateur ou réalisatrice…

Malgré l’engouement autour du projet, les cinq hommes sentent toujours le poids de leur traumatisme, surtout Antron qui a récemment perdu sa mère. « Le système a cassé beaucoup de choses en moi qui ne peuvent pas être réparées », souffle-t-il lors de l’émission d’Oprah Winfrey. Juste avant l’affaire de 1989, le jeune garçon souhaitait devenir un joueur de baseball.

https://www.instagram.com/p/Bz01ODXlatl/

La série composée de quatre épisodes a permis d’instiguer un débat, comme l’espérait Ava DuVernay. Elle a aussi donné la possibilité aux membres des « Exonerated Five » de voir l’expérience de chacun au cours de ces longues années. Aujourd’hui, ils travaillent avec différents acteurs, tels que des associations, pour que ces événements ne se reproduisent pas.

Elle est disponible depuis fin mai sur Netflix, tout comme l’émission d’Oprah Winfrey.


“The society” : l’adolescence perdue