Ayumi Roux : sa connexion aux autres pour être dans le vrai

Ayumi Roux dans un extrait d' "Endless Night" de David Perrault (2022) - (Photo-DR)
Il y a des rencontres qui même par téléphone vous touchent. Des rencontres qui inspirent, laissant votre plume écrire et écrire pour partager ce moment. Ayumi Roux en fait partie. Une jeune femme qui laisse entrer la lumière par sa gentillesse, son écoute et son rire qui raisonne à chacune de ses phrases. Une jeune actrice qui sait déjà là où elle veut aller et les projets qu’elle veut mener. Pour PressEyes, elle s’est confiée.
Il y a des métiers qui viennent à nous, un peu comme une évidence. Des métiers auxquels on n’aurait jamais pensé : de par son passé, ses activités ou sa famille. Et pourtant, quand on s’y donne, on ne fait plus qu’un avec ce dernier tant il nous passionne et nous pousse à se surpasser. C’est un peu l’histoire d’Ayumi Roux, ou peut-être, c’est l’histoire que j’ai envie de m’imaginer autour de cette actrice, qui depuis quelque temps “essaie de penser” quand elle a eu “vraiment le déclic” pour devenir actrice. Quand elle fait appel à ses souvenirs, ce dont il lui revient, ce sont ces trois/quatre cours de théâtre qu’elle a pu prendre lorsqu’elle faisait du patinage artistique. “Je pense que c’est de là qu’est née mon envie de faire du cinéma, mais sans vraiment révéler une grande passion.” Mais quand le moment est venu de devoir mettre le patinage de côté, c’est vers le théâtre et l’acting qu’elle se tourne naturellement.
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Une artiste malgré elle
Un hasard ? Ou le cinéma a-t-il toujours fait partie de son inconscient le plus profond ? Patinage artistique, des parents musiciens, Ayumi Roux a toutes les cordes à son arc pour devenir une artiste. C’est sans compter l’importance du cinéma et de la télévision pour son papa, qui aime faire découvrir des chefs-d’œuvre à sa fille. Elle l’avoue : “On n’allait pas au cinéma toutes les semaines, car c’est quand même un coût important.” Mais elle est de cette génération, chanceuse, qui a connu les vidéos clubs. Toutes les semaines, c’est en famille qu’ils s’y rendent pour choisir les DVD à dévorer devant le poste de télévision, avec peut-être même du pop-corn. “On portait une grande importance aux films. Pour mon père c’était quelque chose de précieux et c’était un peu notre rituel.” Ayumi Roux prend alors le temps d’admirer chaque plan, de se laisser porter par la musique et fait attention aux moindres détails. Devenir actrice était finalement sa destinée.
Partager et observer
Si elle met du temps à réaliser que ce serait son métier, elle aime l’ambiance sur un plateau et plus particulièrement d’être entourée de l’équipe qui l’accompagne sur le tournage. “Il y a quelque chose d’extérieur, je ne me concentre pas uniquement sur moi et mon personnage : je regarde les autres jouer ; je les observe et j’apprends d’eux.” Il n’y a pas de doute, elle aime être actrice, mais ce qu’elle préfère c’est sa place de spectatrice. “Quand on se retrouve sur un plateau et qu’il y a toute la machine enclenchée, le fait de se retrouver avec pleins de gens qui tiennent leur rôle, c’est assez impressionnant à voir. C’est quelque chose à laquelle je pense à chaque fois que tourne.” Ayumi est de ces rares personnes qui font attentions aux autres, à ceux qui l’entourent. Et quand il s’agit de se glisser dans la peau de ses personnages, elle se laisse guider par les réalisateurs, les écoute, sans les perturber.
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Une oreille attentive
“On a tous des choses hyper personnelles pour travailler ses personnages.” En ce qui la concerne, elle fait attention au metteur en scène ou à la metteur en scène. “Je vais prendre le temps de bien comprendre ses attentes. Et quand il y a des projets avec une grande responsabilité artistique, j’ai beaucoup de mal à m’imposer.” Ayumi se laisse guider par les envies du réalisateur ou de la réalisatrice “pour ne pas créer de souci” : “Tout ce que je fais, c’est pour essayer de ne pas inquiéter l’équipe avec laquelle je travaille.” La comédienne s’adapte, fait en fonction des gens avec qui elle travaille et surtout elle “tâte un peu le terrain lors des répétitions“. Et si pour le moment on l’a beaucoup vu jouer dans des séries, c’est un format qui n’est pas pour lui déplaire, bien au contraire.
Continuer l’histoire
“Je crois que ce que j’aime dans ce format, c’est que l’on a cette impression que l’histoire ne va jamais s’arrêter. On peut vraiment profiter de l’univers.” Pour ce qui est du cinéma, elle voit l’expérience plus courte et la première chose à laquelle elle pense lorsqu’elle s’assoit sur l’un des fauteuils rouges, c’est “qu’il va y avoir une fin et c’est quelque chose qui me fait mal et je peux même paniquer !“, dit-elle en rigolant. Oui, Ayumi Roux a le rire facile et rend cette conversation très lumineuse. Puis, elle reprend son constat sur le format sériel : “Avec la série, justement, tu n’as pas cette peur. On prend plus de temps à entrer dans un univers dont on profite à travers plusieurs épisodes ou même des saisons.” Un format qui demande une recherche importante et grandiose pour apporter de nombreux détails à chaque avancement de l’histoire : “Là où au cinéma on peut rester un peu abstrait, on n’a pas besoin de tout dire de l’univers que l’on va représenter.”
Et cette histoire ” sans fin”, elle la connaît bien, notamment dans la série “Skam” où elle a pu s’illustrer de la saison 6 à 9 dans la peau de Maya.
Skam : une relève assurée
Diffusée sur France.tv slash depuis 2018, Ayumi Roux fait partie de la nouvelle génération de comédiens qui ont repris le flambeau avec brio. Les cinq premières saisons étant un carton, il était pour le réalisateur un devoir de proposer aux spectateurs des intrigues et un jeu d’acteur aussi parfait que les saisons précédentes. C’est un sans-faute, avec un programme qui garde son succès. Mais avant d’arriver sur le plateau de tournage, Ayumi n’avait pas vraiment conscience du phénomène que représentait “Skam”. “J’ai eu la pression après le tournage. Et heureusement, parce que si j’étais arrivée sur le tournage en sachant déjà le phénomène que c’était réellement, je pense que j’aurais un peu plus paniqué.“
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Depuis, elle s’est imposée comme l’une des figures phares de la série et fait grandir Maya depuis quatre ans, avec une saison 9 axée sur son personnage. “Je pense que les saisons 6, 7 et 8, je suis restée sur la Maya de la saison 6, avec une personnalité créée par David et Niels, et qu’ils avaient instauré. C’est avec l’écriture de Deborah et de Shirley, que mon personnage a pris un tout autre tournant.” Désormais, les personnages sont écrits en fonction de ce que les acteurs proposent et de ce qu’ils véhiculent. Elle est donc une Maya “pas très loin de ma personnalité“. Des scénarios qui tiennent la route, des thèmes de société important à mettre en lumière, mais surtout une banalisation des personnages queers, qui est chère à Ayumi.
Banaliser pour mieux représenter
“Les anglo-saxons, oui c’est pénible de toujours les prendre en exemple, mais ils ont compris qu’il était nécessaire de banaliser pour représenter. Il faut que les choses soient normales même à la télévision, parce que ça l’est et qu’il n’y a pas besoin d’explication.” Une télévision beaucoup plus fluide offrant ainsi une narration extraordinaire. Ayumi déplore qu’il n’en soit pas de même pour la France, qui a cette fâcheuse tendance à vouloir tout expliquer, mais dont “Skam” s’est délestée pour être dans le vrai. “Si j’étais plus jeune, et si je n’avais pas vu ces séries anglo-saxonnes qui m’ont bercé et m’ont fait poser de nombreuses questions, j’aurais pu regarder ‘Skam’, qui a les mêmes problématiques et la même façon d’apporter les sujets sans aucune notice.“
Si ce genre de séries n’existaient pas en France lorsqu’elle était adolescente, Ayumi Roux a pu elle à son tour aider de nombreux adolescents qui ont pu se retrouver en Maya : par sa vie, son homosexualité, sa façon d’être, ses chagrins, ses relations… Un fait que l’actrice a un peu de mal à conscientiser “Je ne peux pas m’imaginer à quel point la série a pu aider des gens. Je ne me suis jamais dit qu’une série pouvait vraiment aider quelqu’un.” C’est humblement, presque timidement, qu’elle avoue recevoir beaucoup de messages de personnes qui regardent la série et qui lui font part de leur ressenti et la remercient.
“C’est impressionnant de recevoir ces mots-là. Et j’ai du mal à me dire que mon métier, aussi abstrait soit-il que celui du cinéma, puisse aider des gens dans leur vie personnelle, alors que l’on n’a pas les mêmes histoires. Mais le fait de partager une identité de genre, une identité sexuelle, ou une discrimination quelle qu’elle soit, peut finalement rassembler ou permettre de s’identifier.” Elle prend une grande inspiration, peut-être même qu’elle sourit avant d’ajouter : “Ça me dépasse vraiment et en même temps c’est tellement merveilleux. En tant qu’humain ça me redonne foi en la vie, de me dire que je ne fais pas ce métier pour rien. Ou moi-même je me dis que l’on est nombreux à se poser les mêmes questions, à avoir besoin des mêmes choses et des mêmes représentations pour se sentir en vie.” Une petite séquence d’émotion, mais qui aura peut-être permis à Ayumi bien que j’en doute, tant elle est modeste, de prendre conscience à quel point le métier d’acteur pouvait parfois soigner des petits cœurs et même sauver des vies…
Si Ayumi Roux excelle dans “Skam”, elle est captivante et mystérieuse dans “Endless Night”, la toute nouvelle création française de Netflix.
Un coup de cœur
Disponible sur la plateforme depuis le 3 août dernier, le chemin a été long avant qu’Ayumi Roux en soit la révélation. “Endless Night”, c’est aussi sa rencontre avec le réalisateur, qui a bouleversé tous ses plans de tournages. Lorsque l’actrice sait qu’elle est prise sur le projet, elle est déjà acceptée depuis quelques semaines sur un long-métrage. Elle doit alors faire un choix. Et pour ce faire, elle décide de rencontrer David Perrault, le réalisateur de la série.
“C’est un coup de foudre artistique. C’est la première fois de ma vie que ça m’arrivait.” Entre eux, c’est comme une évidence et elle ne peut refuser ce projet. “C’était même devenu presque urgent pour moi, de travailler avec cette personne.” Pour Ayumi Roux, c’est la rencontre de sa vie, celui qui lui donne son premier grand rôle où elle est le personnage central de l’histoire, mais surtout un rôle qui n’a pas été écrit avec des stéréotypes : “Je suis franco-japonaise et souvent quand je passe des castings, ils sont bien spécifiques pour des asiatiques ou bien avec des idées un peu atypiques venant de mes origines. » Mais David s’en moque, lui il veut une comédienne qui puisse incarner Eva, une jeune adolescente secouée par la mort de son père : « Il est la seule personne qui m’a prise dans son projet, pour ce que j’étais avec seulement mes idées, mes envies, ma vision des choses et du cinéma qui collait avec la sienne et c’est quelque chose qui est révélateur.“
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Le reste du casting porté par Théo Augier, Léo Legrand, Louïs Rault Watanabe, Chine Thybaud, Hanane El Yousfi et Salif Cissé, met en scène sept adolescents qui tombent accros à l’Icelotropineet se laissent porter par leur imagination. Des rêves d’une grande ampleur, qui petit à petit prennent de plus en plus de place dans leur vie… Mais il est trop tard, quand ces rêves deviennent de véritables cauchemars contagieux. La barrière avec la réalité est détruite, les adolescents se perdent, doutent et ne font plus la différence entre le fruit de leur imagination et leur propre vie. Si le genre du fantastique se repend de plus en plus dans les réalisations françaises, celle-ci est de taille. Tout est maîtrisé, casting révélant le visage d’une génération qui en dit long tant le jeu d’acteur n’est pas simplement juste, mais captivant et authentique. Un scénario qui tient la route, et tient en haleine le spectateur qui se retrouve lui aussi happé par les rêves de cette bande de copains et se perd lui aussi.
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Pour offrir une telle véridicité à son jeu, Ayumi Roux s’est mis au travail quand elle a réalisé qu’elle ne rêvait plus du tout, ou du moins, qu’elle ne se souvenait plus de ses rêves à son réveil. “Je me suis dit qu’il fallait absolument que je me remette à rêver pour travailler sur cette série. J’ai écouté des émissions et des podcasts sur ce sujet.” Et si c’est un échec, comme elle me le confie, c’est finalement dès les premiers jours de tournage qu’elle a recommencé à rêver, tout en s’imprégnant de l’ambiance de la série : “Avant j’étais très intellectuelle dans ma façon de travailler, et ça m’a fait défaut car je restais beaucoup dans le schéma de musique dans lequel je m’étais implantée et c’était difficile d’être malléable sur le plateau. Pour travailler sur ‘Endless Night’, je me suis mise dans l’atmosphère, d’où le fait de se plonger dans les rêves.“
Un décor, une enveloppe qui sont étroitement liés à la puissance de la musique, qui vient rythmer l’histoire des personnages.
La force de la musique
Si tous les films et les séries ont une bande sonore, dans “Endless Nigh”t elle est comme inévitable. Quoi de mieux que la musique pour se laisser porter par son imagination ? Créée par Sébastien Perrault, le frère du réalisateur, la musique devient un personnage à part entier, elle est comme la huitième personne du groupe qui les guide et ne fait qu’une avec eux, notamment avec Eva : “Dans la série je fais de la musique et ce que l’on s’est dit avec le réalisateur, c’est que la musique que l’on entend, c’est la musique que je compose.” Sébastien Perrault a su la mettre au service de l’histoire avec une grande puissance, accompagnant ainsi chaque gestuelle des personnages telle une chorégraphie. “Ça me touche ce que tu dis, mais en vrai ça ne devrait pas me toucher ce n’est pas moi qui ai fait la musique ( elle rit), mais ça me touche pour Sébastien Perrault. Mais comme c’est le frère du réalisateur, je me dis qu’il y a quelque chose d’osmose, d’harmonieux entre les deux, pour arriver à une espèce d’unicité entre l’image et le son.“
Après une analyse artistique, vient une analyse un peu plus concrète concernant l’Icelotropine.
Trouver l’équilibre
Ce petit cachet bleu au centre de l’histoire, révèle qu’il a la capacité de faire tomber les gens dans des trips oniriques, les sortants de l’ennui ou les empêchant d’y tomber. Bien qu’elle soit source de problèmes, la question de l’incitation s’est posée au cœur de l’équipe : “On est plus dans la prévention que l’incitation et c’est ça aussi que j’aime dans cette série. On ne fait pas l’éloge de l’Icelotropine.” Une addiction qui mène les personnages à vouloir devenir quelqu’un d’autre, jusqu’à s’éloigner d’eux même, mais petit à petit la “réalité les rattrape”, ce surdosage provoque une réalité altérée les menant au doute et à ne plus se faire confiance.
Ce qui est certain, c’est que dans le monde réel, Ayumi Roux n’a pas à douter de ses prouesses en tant qu’actrice. En tant qu’humaine, elle n’a pas à douter de sa générosité, qu’elle n’hésite pas à pourvoir même à travers un téléphone, ce qui a rendu cette discussion d’une grande richesse.
Une étoile montante dont on a pas fini d’entendre parler, qui par ailleurs sera en 2023, à l’affiche de “L’astronaute”, aux côtés de Nicolas Giraud, Mathieu Kassovitz et Hélène Vincent.