Je verrai toujours vos visages : de la haine au pardon

Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages, Gilles Lellouche, PressEyes, cinéma

Un huis clos sur la Justice Restaurative avec des personnages aux grands traumas, se confrontant à des délinquants aurait pu basculer dans une atmosphère lourde et angoissante. Pourtant, Jeanne Herry en fait un long-métrage, non loin d’être léger, mais captivant.

“Je verrai toujours vos visages”, c’est l’histoire de Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi de Cholé, victime de viol incestueux. Dès les premières secondes du film, le ton est donné : le spectateur est prévenu qu’il devra faire face à des personnes aux grands traumas. Mais Jeanne Herry a eu la délicatesse, dans cette mise en scène efficace, d’y glisser des pointes d’humour distillées au milieu de scènes parfois sanglantes.

Des sujets pesants que les acteurs ont réussi à s’approprier avec véracité. Le spectateur se retrouve ainsi happé par les difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés leurs personnages :  on croit à chaque larme qui coule sur le visage de Leïla Bekhti, on croit à chaque coup de colère de Gilles Lellouche, on a envie de rassurer Miou Miou, on a envie de soutenir Adèle Exarchopoulos.

Les rôles s’inversent

Si vous avez vu “Pupilles”, vous pourrez remarquer que Jeanne Herry s’est entourée de “ses acteurs”, mais en inversant leurs rôles. On retrouve Elodie Bouchez, toujours aussi touchante, mais qui doit cette fois-ci en tant que professionnelle, apporter de l’aide à Chloé violée par son frère. Sa douceur est toujours au rendez-vous, ses larmes jamais très loin et ses histoires de cœur toujours aussi compliquées. Miou Miou, se met du côté des victimes. Elle n’est plus celle qui permet une lueur d’espoir pour des personnes dans le désespoir, mais celle que l’on rassure et que l’on accompagne pour l’encourager à reprendre une vie “normale”.

Quant à Gilles Lellouche n’est-il pas dans une position de victime dans les deux films ? Si dans “Pupilles” il fait partie des services de l’aide sociale de l’enfance, il se retrouve piégé à aimer ce petit bout dont il a la charge avant qu’il ne parte à l’adoption. Tout comme il s’est retrouvé piégé par des braqueurs, aux visages qu’il n’oubliera jamais.

De la violence à l’empathie

En face les agresseurs. La réalisatrice aurait pu en faire de véritables monstres, des personnages sans âme et sans pitié. Mais elle a pris le parti pris d’en faire des humains, avec un cœur. On ne peut concevoir leurs actes : faire peur aux gens pour des billets, brisant ainsi des familles entières. Mais on se retrouve à rougir, d’avoir de l’empathie pour ces personnes qui auraient pu choisir une autre vie, se trouver du travail, sortir de leur condition mais qui ont opté pour la facilité en signant un pacte avec la violence.

Parmi les agresseurs, on retrouve Nassim, incarné par Dali Benssalah, le comédien subjugue tant il est renversant dans la justesse de son jeu. Incarcéré depuis une dizaine d’années, il est un homme fermé qui ne comprend pas les victimes : elles sont riches, alors que lui non, elles sont libres, alors que lui se retrouve en prison après leur avoir dérobé quelques billets. C’est lui la victime, pas eux. Celui qui voulait juste faire cas de présence pour impressionner le jury, se lance face aux victimes dans de grandes tirades. Le ton est toujours le même, mais son regard persan et sa faculté à rassurer les victimes, tout en expliquant pourquoi cette haine, laisse le public de marbre. Jeanne Herry a-t-elle voulu que l’on se laisse séduire par l’un des malfaiteurs ? 

Une complexité de la conscience ou de l’âme humaine, que le film a tenu à explorer, mettant en avant que cette Justice Restaurative qui existe en France depuis 2014, les aide à réaliser l’ampleur de leur geste sur la vie des gens et aux victimes de mieux cerner ces personnes qui peuvent en un claquement de doigt faire basculer une vie.

Au cours du film, le titre prend tout son sens et s’inscrit aussi bien du côté des victimes qui ne pourront jamais oublier cette cagoule noire, tout comme les bandits ne pourront jamais effacer de leur mémoire le visage de ceux qu’ils ont dépouillé par peur d’être dénoncés.