Eliane Umuhire : une guerrière sur le front du 7e art

Eliane Umuhire
Comment devenir comédienne quand dans un pays après un génocide, il n’existe ni école de théâtre ou de cinéma ? Eliane Umuhire vous direz de continuer à vous battre et de croire en vos rêves comme elle a pu le faire. Rencontre avec une combattante qui a su faire sa place au sein du 7e art.
Personne n’en vit, mais l’art est partout autour d’elle, ses oncles sont sculpteurs et son grand-père paternel est poète. Ils aiment passer des moments en famille pour parler culture et se plonger dans les histoires des plus grands romanciers. Eliane Umuhire imagine alors ses héros préférés pour leur donner vie, avant de pouvoir admirer les acteurs à l’écran. “On avait une télévision et la seule chaîne que l’on possédait était la chaîne nationale qui n’ouvrait ses programmes qu’à 18h pour fermer à 23h. Du coup, mes parents m’encourageaient plutôt à lire. Et même plus tard, quand on a eu une antenne satellite et qu’on captait des chaînes étrangères, moi et mes sœurs avions des heures précises pour regarder la télévision.“, s’exclame- t-elle d’un air enjoué, comme si elle revivait ces moments avec ses parents. Des parents, qui l’ont toujours poussé à faire ce qu’elle aime, sans jamais lui interdire de rêver ou lui faire perdre la moindre illusion.
La magie des histoires
Voir cette publication sur Instagram
Eliane a 11 ans, quand elle a le déclic de devenir comédienne après une représentation remarquable dans son cours de français. “Le professeur nous avait demandé de mémoriser un texte que l’on devait jouer à deux : il y avait un commissaire et un voleur de montres.” Après la lecture du passage, Eliane demande à jouer le commissaire : “Il y avait beaucoup plus de textes“, m’avoue -t-elle en rigolant. C’était la première fois qu’Eliane incarnait et donnait vie à un personnage tout droit sorti de son imaginaire. “Quand je me suis mise devant la classe et le fait de jouer un homme qui doit passer par plusieurs émotions, j’ai ressenti quelque chose que je n’avais jamais éprouver.” A la fin du spectacle, toute sa classe reste sans voix, tous ébahis par la prestation de leur camarade, toujours sous l’emprise de ses émotions, qu’elle ne veut plus quitter.
“Je suis allée voir ma mère pour lui en parler, car dans ma famille personne n’avait fait de carrière dans le cinéma ou dans le théâtre. Elle m’a tout simplement dit : ‘si tu veux devenir actrice, tu peux le faire.’” Son père, grand passionné de culture encourage aussi sa fille et l’amène même voir sa première pièce de théâtre au centre franco culturel rwandais.
Mais avec un pays en reconstruction après quatre mois de génocide et 800 000 morts, Eliane Umuhire est dans l’obligation de faire des études qui donnent directement du travail. Elle met alors son ambition de devenir actrice de côté, considérée comme une passion fantaisiste pour faire des études en comptabilité.
Rattrapée par le destin
A son entrée à l’université nationale du Rwanda, une surprise attend Eliane, puisqu’il existe une troupe de théâtre ouverte à tous les étudiants qui organise chaque année un festival de théâtre en invitant des troupes du monde entier. “J’ai rejoint cette troupe et à chaque fois qu’il y avait un festival, on bénéficiait d’un atelier au sein de ces troupes venues des quatre coins de la terre.“
Une fois le diplôme en poche, Eliane sait qu’elle ne veut pas travailler en comptabilité. Sa passion pour le théâtre est bien trop grande. Elle décide alors de rejoindre les deux troupes de théâtre de Kigali en 2009 : une qui était francophone et l’autre anglophone. Mais en 2015, elle a enfin cette liberté de se consacrer exclusivement au théâtre et au cinéma et tourne son premier long-métrage : “Birds Are Singing in Kigali” pour une production polonaise.
De la réalité à l’écran
De “Birds Are Singing in Kigali” en 2017, en passant par “Les Arbres de la paix”, en 2022, Eliane Umuhire incarne des femmes meurtries par le génocide rwandais. Des personnages pour lesquels elle ressent une vive émotion, elle qui a vécu ce drame, elle est fière de pouvoir rendre honneur à son pays à travers des films. “En commençant mon métier de comédienne j’étais très heureuse de pouvoir raconter les génocides de 1994 contre les Tutsi au Rwanda et de pouvoir donner ma contribution pour la conservation de la mémoire et la lutte contre le négationnismes et révisionnisme, en tant que Rwandaise et artiste.” Une rwandaise qui incarne des rwandaises, un geste fort pour Eliane qui a pu s’approprier Claudine (“Birds are singing in Kigali”) et Annick (“Les arbres de la paix”) avec authencité.
Une sorte même de thérapie, pour l’aider à mieux accepter des années plus tard la disparition de ses ami.es et celle de 800 000 personnes. “Ces rôles m’ont aidé à mieux comprendre tout ce que l’on avait pu me cacher étant enfant. Mieux comprendre les survivants et me demander comment ils ont survécu après cette tragédie, comment ils se sont reconstruits et comment ils ont accepté cette obscurité pour mieux avancer.” Une noirceur qu’Eliane a aussi en elle, offrant une interprétation magistrale où le spectateur ne peut être que saisie par l’intensité des émotions.
Néanmoins, si Eliane ne peut rester insensible à Claudine et Annick, ayant fait face à cette terreur effroyable, elle garde une certaine distance avec elles. “J’essaie à chaque fois de construire mon personnage en lui étant la plus fidèle sans tricher. Mais mon histoire reste mon histoire et ne pourra jamais être celui de mes personnages.“
Voir cette publication sur Instagram
Le 15 novembre prochain, Eliane sera à l’affiche d’ “Augure”, un film qui pointe du doigt la société Congolaise et tous ses préjugés bannissant certaines personnes les considérants comme des sorciers. “C’est un film sur les croyances collectives et individuelles mais aussi sur les assignations sociales, qui peuvent affecter notre vie.” Un long-métrage qui cette-fois-ci n’est pas inspiré de faits réels comme le sont “Birds Are Singing” et “Les Arbres de la paix”, mais tous les trois ont tout de même un point commun : celui de se dérouler sur le continent africain.
La fierté de représenter
Pour Eliane Umuhire, il est indispensable de représenter le continent Africain et d’y montrer sa richesse culturelle et ouvrir les esprits des gens qui le définisse à coup de tambours, d’exotisme et de colonies. “Je veux montrer aux gens que l’Afrique a toute une diversité. J’aime l’idée de la représenter et de mettre en valeur une culture et comment elle va se répercuter sur les autres cultures.” Pour Eliane, si nous vivons dans un monde où chaque pays à ses propres croyances et traditions, elle est sûre d’une chose : l’art est le dénominateur commun à l’être humain, qui permet de tous se connecter. “Je suis africaine, mais je ne me définis pas juste en tant qu’africaine. Je suis un être humain, mais aussi une artiste qui est là pour porter des histoires universelles.” En effet, Eliane ne se projette pas que dans le cinéma africain, puisqu’elle incarne aussi d’autres rôles comme celui de Colombe, une activiste anti spéciste, dans la série “La fille du cœur de cochon” sur France 2.
Voir cette publication sur Instagram
Un début de carrière très centré sur des films se déroulant en Afrique, lui permettant de se délester de tous clichés concernant les africains, tout en lui donnant cette chance de décrocher des rôles principaux. Mais Eliane me confie que jouer certains stéréotypes ne la dérange pas, surtout quand ils servent à dénoncer des faits ancrés dans une société. “Je vais accepter ces rôles-là, parce qu’il y a vraiment une raison derrière. Mais aujourd’hui, même s’il y en a peu, il y a des cinéastes en France qui poussent les lignes et les limites et qui acceptent de me caster, même si j’ai un accent et de réadapter le personnage.” Eliane se réjouis de son parcours au sein du 7e art, lui donnant cette possibilité d’incarner des personnages africains avec des scénarios hiératiques, pour des histoires qui révèlent la force de cette communauté, de sa beauté, sans être dans l’exotisme. En parallèle, elle est heureuse de participer à ce changement cinématographique qui s’opère en France avec des cinéastes qui œuvrent pour un cinéma universel. “Il y a ceux qui diront que ce n’est pas assez, mais j’ai envie de célébrer et remercier ceux qui veulent du changement et qui acceptent de se remettre en question.”
Eliane Umuhire garde ainsi espoir, d’avoir cette liberté de pouvoir tout incarner pour continuer à faire rêver le plus longtemps possible.
Femme, africaine, comédienne, artiste, Eliane Umuhire et tout ça à la fois, mais aussi une guerrière indispensable à l’histoire du cinéma, mettant tout en œuvre pour faire basculer les codes encore bien trop présents au sein du 7e art.