Line Papin ose : ses confidences sur la fausse couche et l’avortement

Line Papin, une vie possible, livre, Mathilde Dandeu, PressEyes

Line Papin

En France, la maternité reste un sujet quelque peu tabou. Alors, quand il s’agit de fausse couche ou d’avortement, c’est comme prononcer de vulgaires mots, dénonçant les femmes comme seules fautives. Heureusement, il y a celles comme Line Papin, qui ont le courage d’en parler, pour réunir toute une communauté qui ont besoin de se rassembler pour libérer la parole. Rencontre.

Elles sont de plus en plus nombreuses à parler d’avortement, de fausse couche. Des sujets qu’une partie de la société a besoin de mettre en lumière, quand l’autre préfère les terrer. Puis, il y a des femmes, comme Line Papin, qui ont besoin d’y mettre des mots. Besoin de raconter leur histoire, pour la mettre au service de toutes celles qui ont vécu le même traumatisme.

L’écriture

Line Papin est un petit bout de femme, qui avec sa voix douce réussit à nous bercer, nous captiver. Une jeune femme dotée d’une grande intelligence, d’une culture foisonnante et d’une grande sagesse. Venue présenter son livre : “Une vie possible” au salon du Livre et du Vin à Saumur, en juin dernier, l’autrice m’a accordé de son temps pour évoquer son ouvrage. Au fil des pages, elle raconte son expérience de la maternité.  Deux expériences qui ont laissé entrer la lumière, l’espoir, avant de s’assombrir, pour laisser place à la force, au combat et faire face à deux “non-naissance”.

 

 
 
 
 
 
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Avant-même de penser à en faire un livre, Line Papin me confie qu’elle avait cette nécessité d’écrire sur sa fausse couche et son avortement : “J’avais besoin de poser sur papier ce qui s’était passé, de comprendre, de réfléchir.” Un livre qui met en avant son propre vécu, auquel se mêle des textes plus théoriques d’autrices comme Simone de Beauvoir et Simone Veil. Une écriture qui était pour elle essentielle pour comprendre ce fait : “On ne parle pas de l’avortement, ni de la fausse couche. Je trouvais que d’écrire ce qu’il s’était passé dans le corps, dans l’esprit, dans le couple, tout le séisme que cela peut provoquer et en même temps d’aller trouver des réponses dans les textes d’autres femmes, c’était vraiment une manière de saisir ce phénomène.”

“Une vie possible” devient peu à peu pour Line Papin la meilleure façon d’avancer.

Se libérer

À chaque phrase, chaque paragraphe, son deuil grandit de ces grossesses non abouties : “Pour moi, c’était une manière de terminer cette chose qui m’était arrivée car souvent ça reste en suspens.” Deux grossesses qu’elle n’évoque pas avec ses amis, avec sa famille ou même au sein de son couple “parce qu’il y a un non-dit qui se créer“. Elle se désole de voir que peu de films représentent ces deux cas de maternité, si bien que l’on peut citer “Une affaire de femmes” ou l’adaptation de “L’événement”, plus récemment. Sans parler des livres, dénués de pages consacrées à l’avortement et/ou à la fausse couche. Line Papin changera donc les choses pour mettre un terme à ces points d’interrogations, à cette souffrance. Une souffrance corporelle et psychique, mais aussi sociétale.

Être pointée du doigt

Après une fausse couche, peut-on continuer à aimer son corps ? Line Papin l’affirme : oui. “Je ne pense pas que l’on en veuille à son corps. C’est un phénomène naturel, c’est seulement la société qui n’est pas tendre avec ça.” En effet, la femme est souvent vue comme la fautive. Pourtant, elle ne peut pas contrôler cette perte si soudaine et dévastatrice. “Les femmes se posent souvent la question à savoir si c’est leur faute, si elles ont fait quelque chose de mal. Mais c’est une femme sur trois qui fait une fausse couche.” Une remise en cause, qui peut parfois s’avérer d’une plus grande violence, quand elles décident d’interrompre volontairement une grossesse. Une nouvelle épreuve que doit affronter Line Papin après la perte de ses jumeaux. 

 

 
 
 
 
 
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Un an après sa fausse couche, Line Papin ressent le besoin de retomber enceinte. Chose qui arrivera. Mais dans sa tête tout va se chambouler : et si finalement elle n’était pas prête ? Si finalement devenir maman n’était plus une priorité dans ce monde, dans cette vie qui lui laisse pour le moment peu de place. Et si elle devait elle, d’abord s’épanouir en tant que femme, renaître avant de faire naître ? L’avortement n’est plus seulement envisageable, il devient réel, il devient la seule solution pour éviter à un petit être de naître dans la tristesse.

Entre faiblesse et force

Un choix loin d’être facile. La culpabilité l’envahit et le jour J, elle se trouve faible. Pourtant, quoi de plus fort que de prendre une telle décision. Quoi de plus raisonnable que de se poser les bonnes questions avant d’accueillir un enfant, qui intérieurement n’était pas tant désiré. “Maintenant je ne dirais plus que j’ai été faible. Plutôt responsable. Mais sur le moment, à l’instant T, on est tellement culpabilisée par tous ces siècles d’oppression, du fait que les femmes ont été punies pour ça et continuent à l’être dans certains pays… On pense aussi au regard de la société. Gisèle Halimi disait : “Toutes les femmes avortent, mais aucune ne le dit.” Ce silence épaissit la culpabilité, la honte, la solitude, là où il pourrait y avoir plus de solidarité, de réflexion et de bienveillance.

Désormais, elle se sent apaisée avec la maternité. Une première grossesse qui a éveillé en elle ce dont son corps était capable de porter et une seconde qui fût une prise de conscience sur cet engagement emplis de responsabilités qui chamboule une vie.

Ma première grossesse m’a donné envie d’enfanter. Je me suis dit que c’était fou de pouvoir créer la vie, c’est tellement beau et j’avais hâte de recommencer l’expérience. ” Depuis l’avortement, la jeune femme ne ressent plus cette impatience de devenir maman, mais elle sait qu’elle en a toujours envie : “C’est devenu une vraie réalité, ce n’est plus un fantasme. Dans notre société, en tant que femme, on a tendance à penser que c’est la plus belle chose qui va nous arriver, que c’est génial, mais la réalité est autre. Avoir un enfant c’est compliqué, il faut avoir un équilibre de vie. Une naissance peut fragiliser un couple, il faut être sûr que les deux soient prêts à devenir parents. Il faut être bien dans sa tête, dans son corps. J’ai désormais une approche plus réaliste.

Se reconstruire

Aujourd’hui, elle est en paix avec son corps. Un corps qu’elle sait capable de porter la vie, mais qui ne lui appartient plus vraiment. Comme beaucoup de femmes, elle a été sévère avec lui pour atteindre une certaine perfection codifiée par la société : avoir une belle peau, rester mince mais pas trop, avoir des formes mais pas trop, avoir une belle manucure, une belle coupe de cheveux. En conflit perpétuel avec lui pour qu’il puisse obéir à ces normes, elle a décidé de faire la paix : “Je suis beaucoup plus douce. J’essaie d’écouter ce qu’il a à me dire et ça fait du bien de le laisser s’exprimer, sans toujours l’oppresser. Notre corps ne vit pas pour la photo, il vit pour vivre, il s’exprime, il se modifie, il nous lance parfois des alertes. C’est une entité intelligente, qu’il faut respecter, et pas toujours contraindre.” Désormais, elle souhaite que les femmes puissent être plus solidaires entre elles. Mettre de côté ces regards critiques en faveur de la bienveillance.

Une bienveillance que les politiques devraient accorder et appliquer, quant à la question de l’avortement.

En danger

Si “Une vie possible” est un ouvrage essentiel pour les femmes, tout comme les hommes, il fait depuis l’annonce des États-Unis contre le droit de l’avortement, plus sens. “Ce qui me frappe avec ce livre, c’est qu’il y a eu plein de hasards. Par exemple, au moment où j’ai avorté, ils ont ressorti le manifeste des 343 pour ses 50 ans. Je marchais dans la rue et je voyais en grand la couverture du manifeste des 343. À ce moment-là, je me suis dit que c’était fou, car on ne m’avait jamais parlé de l’avortement.

Née dans les années 1990, Line Papin a toujours considéré l’avortement comme un droit légal et acquis. Pourtant, elle est vite rattrapée par l’actualité du moment. “C’est un combat qui malheureusement n’est pas encore acquis. Notre génération a toujours vécu dans l’idée que c’était sûr, que l’on avait ce droit et que personne ne pourrait nous l’enlever. Mais aujourd’hui, l’avortement revient dans l’actualité et son interdiction aux États-Unis nous pousse dans une grande réflexion sur ce droit.

Une régression qui fait peur, mais un droit qu’il faut continuer à défendre. Pour cela, il est nécessaire que l’avortement soit mis en lumière à travers des récits, des œuvres. Il faut bannir ce silence qui épaissit cette culpabilité : “Il donne raison aux gens qui pensent que les femmes n’ont pas le droit.” Line Papin l’assure, “l’idée n’est pas de dire que c’est super, parce que ce n’est pas super, mais les femmes doivent être aidées plutôt que punies. Et l’avortement est une réalité, qu’il soit légal ou illégal. L’interdire ne l’arrête pas, l’interdire le rend plus dangereux pour les femmes.

Line Papin encourage les femmes à prendre la parole tout comme elle l’a fait de manière littéraire, poétique et philosophique : “Il y a plein de manières de l’aborder. Plus on le fera avec bienveillance et plus on se rendra compte que ça devrait être un droit humain car c’est une réalité. Pas une réalité politique ou religieuse, mais une réalité des femmes qui le vivent dans leur chair et dans leur tête.

 

 
 
 
 
 
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L’avortement vu comme un crime, punit une fois de plus les femmes, qui depuis des siècles sont confrontées à se battre sur de nombreux sujets. Depuis la sortie de son livre, l’autrice a reçu beaucoup de témoignages, offrant la possibilité à certaines d’arrêter de vivre dans l’infamie : “Notamment des femmes plus âgées qui ont avorté quand c’était illégal. Elles m’écrivent qu’elles étaient dans une grande solitude, qu’elles avaient eu envie de se suicider. C’est la détresse de ces jeunes filles qu’il faut entendre, au lieu de les punir davantage. Je ne comprends pas pourquoi on ne les aide pas, au lieu de les pointer du doigt comme des monstres.

S’unir

“Une vie possible” est un ouvrage intime tel un journal, racontant l’histoire de Line Papin. Pourtant, dans cette intimité, elle livre un message universel : “C’est quand on touche quelque chose de très intime que l’on est finalement relié à tout le monde.” Un livre peu commun et pourtant qui ne devrait pas l’être. Dans “Une vie possible”, Line Papin bouleverse, mène à la réflexion, parfois même révolte. “Je sens que ça touche quelque chose de très viscéral. Je reçois aussi des messages sur les réseaux sociaux de femmes qui sont en train de vivre cette expérience, et c’est très particulier. Ça me donne des frissons à chaque fois.”  Un livre qui s’adresse également aux hommes, aux compagnons. Mais aussi à la famille, aux ami.es qui ne sauraient trouver les mots pour réconforter et accompagner leur sœur, leur cousine, leur amie dans ce moment de chagrin et de douleur.  Un ouvrage pour les femmes, même pour celles n’ayant pas connu ce combat, mais qui doivent se sentir concernées par la condition de la femme. Par sa force et son courage de raconter sa fausse couche et son avortement, Line Papin s’inscrit auprès des plus grandes qui des années plus tôt ont su se battre pour permettre aux femmes de s’imposer dans la société. Si dans son livre elle cite Simone de Beauvoir ou encore Simone Veil, l’autrice suit cette lignée de celles qui offrent à la société de grandir et de s’ouvrir à un monde meilleur.