“Sans Toi” : l’Homme à nu face à ses erreurs

Thierry Godard, Sophie Guillemin, Sans Toi, Mathilde Dandeu, PressEyes

Affiche du film “Sans toi“ de Sophie Guillemin avec Thierry Godard

En salle depuis le 12 janvier 2022, “Sans Toi“ est un film qui recentre l’Humain au coeur de la nature. Un film qui pousse à la réflexion et surtout à une remise en question. PressEyes y pose son regard, tout en croisant celui de la réalisatrice Sophie Guillemin. 

Avant de vous plonger dans une analyse complète de “Sans toi“, laissons Sophie Guillemin exprimer son enthousiasme face au bel accueil que son public fait à son premier long-métrage : “On a commencé une tournée dans toute la France. On avait envie de présenter le film directement aux salles. Comme on a beaucoup de salles indépendantes, c’est très important pour elles que l’on soit présents et que l’on soit en personne avec leur public. On va faire 40 avant-premières. C’est une grosse tournée.” Des cinéphiles au rendez-vous, puisque les premières salles comptaient une soixantaine de personnes. Un début d’année qui ne peut que ravir Sophie Guillemin et son époux Thierry Godard, qui incarne Antoine le personnage principal. “Sans Toi“ est bien plus qu’un film, mais une belle poésie, dans l’oeil bienveillant d’une réalisatrice qui aime l’Homme. 

Écrire par l’image 


L’art de “Sans Toi“ est peut-être le fait que Sophie Guillemin s’est laissée porter par ses émotions, les moments qui venaient à elle sans vraiment réfléchir, et surtout sans rien écrire : “Assez curieusement je ne l’ai pas écrit. J’ai d’abord commencé en filmant. Ça fait depuis très longtemps que j’ai envie de passer à la réalisation et ça fait 6/7 ans que je m’attelle à l’écriture de scénario de long-métrage. Je lis beaucoup de livres, je prends des cours pour me former et j’ai écrit beaucoup de petits scénarios pour acquérir de l’expérience. Et pour y arriver professionnellement il faut savoir faire et refaire. Je tournais un peu en rond avec tous ces projets qui n’étaient pas concrétisables. Puis un jour, Thierry (Godard) qui est mon mari dans la vie, me dit : ‘Tu as tellement envie de réaliser, prend ton appareil et filme.’ Je suis donc partie sur un premier point de départ, sur un homme qui cherche et qui cherche…” 

La Russie 

Une quête au départ inconnue, qui est reflétée dès les premières images de “Sans toi“. On y voit Thierry Godard nu sur la glace chercher… quoi ? Le silence, avant de le retrouver habillé en homme d’affaires. “Il cherche l’amour qui serait un amour disparu. Je suis partie sur une idée assez vague et en même temps poétique. Je le suivais  (Thierry Godard) en train de marcher, dans les villes, où nous nous sommes rendu : Saint Petersbourg, Moscou. On a vraiment eu un coup de coeur pour ces villes. On a trouvé les Russes très doux, on ne s’y attendait pas du tout, on a une image très faussée des Russes. On pense qu’ils sont rustres mais pas du tout… ils sont d’une extrême douceur.“ Un coup de foudre, qui la mènera à écrire son film autour de cette population et de ces villes. Une histoire d’amour, une rencontre entre deux Parisiens Antoine et Solange, qui débute dans un bar en Russie… 

 
 
 
 
 
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Un film libre

Chaque jour je continuais à inventer la suite de l’histoire. C’était assez particulier comme manière de faire et en même temps c’était génial parce qu’on n’a pas l’habitude de faire comme ça. Les idées naissent de manière totalement spontanée et ça amène des choses totalement inconscientes. Il n’y a pas l’étape de l’écriture qui est longue, ultra réfléchit, ultra maturée, ultra pensée…“ Ce qui offre au film une certaine liberté que le spectateur peut ressentir. Une liberté qui donne des images d’une extrême douceur. 

Après quand il y a eu ce coeur de film de fait, là j’ai commencé à écrire pour dialoguer le début et la fin…“  Un film où l’on sent cette structure en trois parties avec ce coeur comme elle l’a joliment dit dénué de paroles et pourtant si touchant. Oui, Thierry Godard y est subjuguant. “J’ai eu envie de jouer sur les contrastes, entre sa vie urbaine du début et de la fin où c’est très dialogué… Les décors avec des appartements parisiens et ce corps de film où il est totalement perdu ailleurs. Je voulais montrer cette différence du traitement de l’image et de l’écriture.“ “Sans Toi“, deviendra-t-il une oeuvre à étudier pour les futures cinéastes ? 

Prendre le temps

Une histoire qui laisse au spectateur le temps d’observer l’humain, vide et triste… Elle est aussi cette pause dont on a besoin face à la frénésie de notre société actuelle. “Sans Toi” est cette parenthèse suspendue dans le temps et nous fait voyager à travers la somptuosité de cette nature froide et à la fois réconfortante.  “J’adore observer les autres, j’aime bien faire ma petite psychanalyse de comptoir autour de moi. Depuis toujours je suis assez contemplative, j’aime regarder. Je peux passer des heures à admirer la nature ou être dans mes pensées.“ Une personnalité qui se discerne en regardant “Sans toi“… En parlant avec la réalisatrice, c’est réaliser qu’elle nous a réellement introduits dans son propre regard, une notion sur laquelle on reviendra un peu plus tard… car cette ouverture dans son univers n’est pas anodine. 

Je trouve que l’un des sens de la vie, c’est d’essayer de se comprendre entre Humains, les uns des autres. La vie nous sert à devenir sages, dans le sens du mot du vieux sage… qui arrive à comprendre le fonctionnement humain.“ Tout comme son personnage Antoine, qui en 1h15 évolue vers la sagesse, lorsqu’il comprend ses fautes et qu’il admet qu’il a été égoïste face à la femme qu’il aimait. 

Une mise en lumière qui se fait grâce à cette famille presque sauvage qu’il rencontre. Soudés les uns aux autres, ces enfants l’accueillent chez eux en lui sauvant la vie. Une solidarité qui se fait en silence, lié à la barrière de la langue qui les empêche de communiquer… Mais c’est cette “perte de la parole“ qui permet à Antoine de prendre du recul sur lui-même pour mieux se comprendre. “Le fait de voir ces jeunes, le fait de se replonger dans sa jeunesse, peut-être que ça lui fait poser des questions, peut-être qu’à l’inverse ça le projette dans une image fantasmée du futur où il aurait pu avoir une famille comme ça… ça le projette dans un ailleurs et ça le fait sortir de sa condition présente.

Une nature rassurante

On ne peut que revenir sur la force de la nature, omniprésente. Sophie Guillemin l’a filmé comme un personnage central. Elle est finalement l’une des oreilles les plus rassurantes… telle une confidente. Une nature qui veille sur l’homme. “J’ai été élevée avec cette idée-là – que la nature est très importante et j’ai toujours pensé que la nature était vivante. C’est vrai que maintenant, on communique beaucoup sur le fait que les arbres communiquent entre eux, que les animaux ont une conscience… Je pense que les enfants spontanément ils le ressentent. Et puis, comme spectatrice j’aime les films qui prennent en compte la nature et arrivent à s’ouvrir sur les paysages. J’avais aussi envie de faire un film qui comporte ce genre d’univers fantastique.“ 

Le silence plus fort que les mots 

On ne peut que féliciter ce travail d’image… Sophie Guillemin donne envie de se perdre dans cette nature qui ne fait qu’une avec Antoine. Lui, l’humain abandonné, qui se retrouve dans ce paysage vaste reflètant son état d’âme. La nature parle pour Antoine, seul et qui ne peut s’exprimer. “L’ambition de ce film c’est d’arriver à parler, mais sans mots. C’est un peu faire renaître les débuts du cinéma qui était muet, c’est presque un travail cinématographique.“ 

Un silence qui ne perd pas le spectateur, bien au contraire. Grâce à la prestance et au charisme de Thierry Godard, on ne peut que se laisser transporter dans sa solitude. “Ce n’est pas donné à tout le monde et c’est vrai que Thierry aurait pu très bien être un acteur du muet tant il a cette faculté. La force du film c’est que j’ai trouvé l’acteur qui pouvait faire ça.“ En effet, Thierry Godard est ce genre de comédien qui réussit par l’expression de son corps ou de son visage à nous faire passer des messages. Un jeu de caméra par Sophie Guillemin qui nous offre ces perceptives, laissant une brèche à ses pensées. “J’aime les plans très larges pour cadrer la nature et en même temps sur lui, très rapprochés, parce qu’on se rapproche de plus en plus de lui et de son monde intérieur.

Le sens de la nudité

Sans toi“, c’est aussi un certain parti prix : celle de la nudité. Mais cette fois-ci, Sophie Guillemin ne filme pas la nudité féminine comme on a bien trop l’habitude de voir, mais celle de la masculinité, mettant ainsi Thierry Godard à nu. “La nudité dans l’art ne me dérange pas du tout, je trouve ça magnifique… mais c’est  ce qui me gênait un peu dans le cinéma c’était cette nudité de la femme qui devenait presque systématique. C’est beau, toutes ces peintures des corps des femmes, les photos, au cinéma… mais c’est beau quand il y a un sens. Sauf qu’au cinéma c’est tellement devenu systématique de mettre une fille nue, que ça en devenait chiant… ça l’est beaucoup moins maintenant, car les choses changent, mais c’est vrai que les hommes on ne les voit pas souvent nus et là ça s’y prêtait.“ La nudité dans son film, représente encore une fois cet abandon… un homme écorché à vif par cet amour perdu. Il se débarrasse alors de son passé, de toutes ses constructions psychologiques. “Il revient à la terre, à l’origine de lui même.“ Il est une renaissance de l’Homme…

 
 
 
 
 
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L’évolution de l’Homme

Un film rythmé par des épreuves, bousculant le quotidien d’Antoine. Des étapes de la vie qui ne sont pas tous les jours plaisantes et pourtant c’est grâce à elles qu’il devient un homme meilleur. “J’aime bien les personnages un peu cyniques, qui sont désabusés par la vie, totalement désillusionnés et qui progressivement se font malmener. Antoine retrouve peu à peu sa sensibilité, ses émotions et il arrive à aimer à nouveau. “ Un anti héros que l’on aime par son courage de retrouver cette femme perdue et que l’on déteste par cet égoïsme qui le ronge, avant d’être apaisé, pour laisser place à la bienveillance et faire le choix raisonnable de s’effacer. Une reconstruction qui se fait grâce à Solange, qui même absente, le guide à être un homme meilleur.

Un spectateur actif 

Un cheminement vers la lumière, dont le spectateur est témoin premier de par cette voix off de Thierry Godard tout au long du film révélant ses pensées. Mais aussi cette fin, où le spectateur voit ce qu’il se passe avant même les personnages : “Quand je pense au résultat filmique, il faut que ça parle aux spectateurs. Je considère que je suis la première spectatrice. Quand je vais voir d’autres films, je n’arrive pas à poser mon regard en tant que comédienne ou réalisatrice, je me pose en tant que spectatrice. Je dis ça, car dans le métier, les gens qui connaissent la machine arriveront à regarder les films des confrères en tant qu’acteur, réalisateur, producteur… et moi je n’y arrive pas. J’ai besoin de voir le film en tant que spectatrice et que l’histoire soit une histoire que j’ai envie de voir.“ 

Un lien fort qui se créer donc entre le spectateur et le personnage principal jusqu’à la dernière minute. Sophie Guillemin nous offre cette opportunité d’être actif en se posant de nombreuses questions : va-t-il retrouver Solange ? Est-ce son fils ? Et puis ce voeu qu’il cache… Peut-être le dévoilera-t-il dans un second volet de “Sans toi“ ?

On ne peut nier l’amour et l’abandon qui sont les thèmes centraux de “Sans toi“. Mais c’est une oeuvre qui pousse à cette remise en question, à savoir : est-on vraiment honnête envers nous même ?