Jessy Salomée Ugolin : vectrice d’un art puissant pour élever les consciences

Jessy Salomée Ugolin, Cassandre, série, France 3

Photo : DR

Devenir actrice, elle en est persuadée. Se battre pour défendre sa place en tant que femme et noire, un peu moins. Pourtant, Jessy Salomée Ugolin se rend vite compte que ce combat est inévitable. Si elle le mène pour elle-même, elle se dévoue pour libérer la parole, pour celles qui n’ont pas la possibilité de se faire entendre et pour toutes les nouvelles générations à venir.

Je l’aperçois au loin. Installée au Café Crème à Paris, la comédienne ne tue pas le temps sur son portable. Elle se nourrit d’histoires avec un livre entre ses mains. À mon arrivée, elle le pose délicatement, sa gestuelle, sa posture révèlent des années de danse. Jessy Salomée Ugolin a cette classe naturelle, même quand elle laisse passer un silence, sa prestance prend toute la place. De sa voix douce et rieuse, elle me plonge dans son univers cinématographique et ses combats auxquels elle ne compte pas renoncer.

De la criminologie au cinéma

Pour Jessy Salomée Ugolin, l’art est une histoire de femmes. Dès son plus jeune âge, sa mère l’amène toutes les semaines au cinéma d’art et d’essai à côté de chez elles et lui fait découvrir le théâtre, les ballets ou encore les comédies musicales. Jessy Salomée Ugolin se souvient : “Le ballet qui me plaisait c’était celui d’Alvin Ailey, qui a une grosse compagnie à New York et que je voyais avec des grands yeux.“ Sa grand-mère, elle, l’initie aux films péplum, aux westerns ou des films “comme le silence des agneaux, que j’ai vu peut-être un peu jeune“… Sa grand-mère n’omet pas de lui montrer des chefs d’œuvre aux figures féminines emblématiques, comme Vivien Leigh ou encore Elizabeth Taylor. Bien que son enfance soit imprégnée d’art, devenir actrice n’est pourtant pas son premier choix.

 

 
 
 
 
 
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J’ai toujours eu plein de paradoxes et j’étais aussi passionnée par la psychologie en criminologie et pour en faire il était nécessaire d’aller en école de droit.“ C’est aussi sa mère et sa grand-mère, qui la poussent à faire des études. Oui, l’art c’est bien joli, mais il est important que leur fille soit diplômée. Inscrite en droit pour faire plaisir à sa famille, Jessy Salomée Ugolin a rapidement conscience que ce n’est pas fait pour elle… C’est en cachette qu’elle décide de passer une audition pour entrer dans une école de danse, théâtre et chant :  à l’Institut du spectacle et des arts de la scène Rick Odums. Acceptée, Jessy Salomée Ugolin peut enfin voler de ses propres ailes.

Les semaines passent, elle se découvre en tant qu’artiste. Pour s’élever dans ce milieu, Jessy Salomée Ugolin a besoin de se confronter à d’autres “techniques“ d’apprentissage. Elle poursuivra alors sa quête artistique à Los Angeles avec la méthode Lee Strasberg.

L’impact des émotions intérieures

Jessy Salomée Ugolin est conquise par cette méthode qui pousse le comédien à s’abandonner totalement à son personnage, en s’aidant de ses propres expériences. Si pour elle, la méthode Lee Strasberg fut une “révélation“, elle met en évidence qu’elle a ses limites : “Tu as des rôles que tu ne peux pas forcément assimiler à ton personnage. Par exemple jouer une mère de famille si tu ne l’as jamais été ou jouer une femme enceinte.“ L’actrice insiste sur l’importance de l’imaginaire, absolument essentiel dans la construction du personnage.

Aujourd’hui, grâce à ses expériences, elle puise dans chacune d’elle pour faire vivre ses rôles en faisant comme elle le dit “(sa) propre tambouille.“ “Aujourd’hui, j’aborde mes personnages avec le metteur en scène ou le réal, c’est quand même lui le maître. C’est lui qui va me donner ce qu’il veut, mais je crois, sans me jeter des fleurs, que l’une des qualités que je peux avoir par rapport à mon métier c’est que je suis très à l’écoute. Parfois, je peux faire complètement fausse route, mais si le metteur en scène, le réal me dit ce qu’il veut, je vais le faire et je peux choper le truc assez facilement et ça c’est une force.“

Le travail en collaboration est pour elle primordial, elle peut même avoir ce besoin de connaître les références artistiques des réalisateurs/ des scénaristes : des films qui les ont inspirés ou encore leurs lectures. Puis, il y a inévitablement l’importance du corps, l’essence même du personnage, révélateur de son histoire et vecteur de message.

Le jeu ancré dans le corps

 “ L’année dernière, j’ai repris des cours du soir à l’école du jeu. Il n’y avait pas de parole, ce n’était qu’à travers le corps et c’est quelque chose qui me manque énormément dans l’approche des personnages.“ Elle regrette que le jeu soit parfois trop intellectuel, laissant peu de place au corps pour s’exprimer. “Je ne sais pas si c’est le fait de venir de la danse, j’ai aussi des diplômes en yoga, mais pour moi l’esprit et le corps sont intimement liés. Je ne peux pas dissocier les deux, je ne peux pas être seulement sur un texte, sur une lecture. Un personnage ça marche aussi, ça tient un verre d’une certaine manière.“

 

 
 
 
 
 
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Pour passer un casting qui lui tient à cœur, Jessy Salomée Ugolin n’hésite pas à écouter la musique qu’elle assimile à son personnage. Puis, elle se laisser porter et improvise des pas de danse : “Quand je dis danser c’est plutôt des mouvements, le but c’est de ne pas faire des déboulés, pied dans la main, tout ça on s’en fout, mais c’est comment mon personnage va bouger sur cette musique-là et du coup la parole va pouvoir en découler là-dessus et je trouve ça hyper important.“ De l’écoute au mouvement corporel est née Nicky, l’une des flics les plus redoutables, à retrouver tous les samedis soir dans la série Cassandre sur France 3.

Cassandre : une ode à la femme

Diffusée depuis 2015 sur France 3, la série Cassandre embarque le spectateur dans le quotidien de Florence Cassandre ( Gwendoline Hamon ), commissaire de police au 36 quai des Orfèvres. Mère de famille, elle décide de demander sa mutation à Annecy afin de se rapprocher de son fils. Sur place, elle découvre sa nouvelle équipe qu’elle va devoir gérer en composant avec certains caractères bien trempés, dont Nicky. Quand Jessy Salomée Ugolin me parle de Nicky, c’est avec beaucoup de tendresse. On dirait même qu’elle me décrit sa sœur, en comparant leurs caractères si différents : “Je me sentais à l’opposé d’elle, son côté première de la classe, assez virulente, très carrée, qui ne sourit pas beaucoup, très professionnelle. On ne l’imagine pas vraiment avoir une vie en dehors du commissariat, ce qui est tout le contraire de moi. Je suis une bonne vivante, par contre, je suis très professionnelle et quand je travaille, je me donne à fond. Mais j’ai besoin d’un équilibre, j’ai besoin de voir les copains.

Un personnage avec lequel elle a des désaccords, notamment sur façon d’aborder les hommes. Les deux femmes n’ont pas les mêmes attentes et Nicky se laisse rouler dans la farine, par cet empressement de devenir mère : “C’est curieux parce qu’on a le même âge et c’est un désir que je peux avoir, même si pour moi il n’y a aucune urgence, contrairement à Nicky qui cherche le père de ses enfants. Je ne suis pas encore à cette étape de ma vie, je cherche tout simplement l’AMOUR, d’ailleurs si vous m’entendez ( rire )“

Si elle ne se reconnaît pas dans son caractère, Nicky lui a tout de même appris des choses, comme la méfiance : “Elle est plus méfiante que moi je ne le suis. C’est quelque chose que je peux apprendre d’elle, parce qu’il faut l’être surtout dans nos métiers.“ Un personnage terre à terre, mais qui émane une certaine douceur, notamment par le fait qu’elle soit adoptée. Nicky incarne la femme forte, qui a dû se battre pour se faire une place : “C’est la seule noire au fin fond de la montagne ou elle a dû se forger et se montrer plus forte que d’autres. Elle a dû faire ses preuves et là, au fur et à mesure des saisons elle se détend. Ses collègues deviennent sa famille et elle se sent plus en confiance.

D’après Jessy Salomée Ugolin, Cassandre est une série qui rend honneur aux femmes, qui en tant que féministe est fière d’en faire partie.

Une actrice engagée

En tant que femme et noire, il est hors de question pour Jessy Salomée Ugolin de se victimiser. Mais elle est consciente qu’elle n’a peut-être pas eu les mêmes opportunités que ses amies. L’actrice se plonge dans un souvenir qui met en lumière tout ce chemin qu’il reste à faire pour être ramenée à sa couleur de peau : “Il y a une réalisatrice avec qui je devais  travailler, qui m’a dit qui fallait ‘ que l’on justifie ma présence, selon la production’. Elle, elle était contre ça. Mais, il s’avère que le rôle, à la base, était écrit “sans couleur” donc on va plus sur le fait qu’elle soit blanche.“ Pour que la comédienne puisse accéder au rôle, elles sont dans l’obligation d’imaginer tout un background au personnage afin de défendre la place de Jessy Salomée Ugolin pour son interprétation : “ Ça ne pouvait plus être simplement une femme de 25 ans, lambda, mais comme elle est noire il fallait qu’elle soit abandonnée, violée ou même qu’elle devienne méchante ou dealeuse…

C’est alors que sa tonalité se lève un peu et laisse échapper sa colère. L’actrice met l’accent sur le fait que l’on peut être noire et avocate ou chirurgienne : “On s’approprie une image, un fantasme sur ce que devrait être la femme noire ou l’homme noir, selon des préceptes qu’ont généralement les hommes hétéros, sexués, blancs et c’est fatiguant par rapport à ça et c’est fatiguant de devoir lutter. Notre métier ne devrait être que plaisir.“ Elle avoue que pendant des années, elle s’est laissée porter par sa naïveté, en refusant de devoir porter le drapeau de qui ce soit, elle voulait être une comédienne avant tout. Mais Jessy Salomée Ugolin redescendra vite de son petit nuage : “ C’est ce que je suis et je ne peux ni ne veut le nier. Ça fait partie de mon identité.

L’entourage : son pilier

La comédienne se nourrit de femmes qui la portent comme Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent : “C’est quand même une femme très forte. C’est elle qui décide de ce qu’elle veut et de ce qu’elle ne veut pas. Elle suit son coeur malgré tout. Je regarde beaucoup de films avec des femmes fortes, je lis beaucoup de femmes.“ Il en est de même dans son entourage, elle ne veut plus perdre son temps avec des gens qui n’ont pas de fortes valeurs concernant le respect de l’autre. Elle tend à se rapprocher des personnes qui ont “un minimum de pensée et qui ont envie d’évoluer.“ Aujourd’hui, elle est prête à descendre dans la rue pour faire entendre ce qu’elle a à dire et pour déverser tout ce qu’elle a gardé en elle de longues années.

 

 
 
 
 
 
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Pour libérer cette parole, Jessy Salomée Ugolin souhaite monter un beau projet avec l’un de ses plus fidèles amis, le dessinateur et scénariste Valentin Rapilly : “On a déjà monté un ciné club et là on voudrait faire des débats, juste discuter sur des thèmes, essayer de se rapprocher dans des groupes différents. Ça ne sera pas que des artistes, parce que je ne veux pas d’entre soi, de microcosme parisien où l’on se voit seulement qu’entre artistes. “

Pour l’actrice, le féminisme, c’est aussi parler de race, de lutte et d’art : “C’est d’abord sortir dans des endroits où l’on va pouvoir ouvrir le débat là-dessus. Je ne suis pas en plein débat tous les jours, il m’arrive de boire des coups et de faire la fête sans parler de tout ça, mais c’est comme aller dans des cabarets comme Le Cabaret de poussière de mon ami Martin Dust, qui était à l’école avec moi à l’Institut du spectacle et des arts de la scène Rick Odums, qui a décidé de monter son propre cabaret.“ C’est ainsi que Jessy Salomée Ugolin me trouve ma transition pour parler de ce fabuleux spectacle.

L’artiste se met à nue

Jessy Salomée Ugolin se rend plusieurs fois au Cabaret poussière, elle est captivée par le décor, l’artistique qu’il s’y dégage, mais aussi les textes soulevant des problématiques sociétales ou politiques. Chanter, danser, jouer, un univers dont elle rêve, mais quand son ami lui propose d’intégrer l’équipe artistique, l’actrice hésite : “Je me demandais comment ça pouvait s’articuler, et ce que j’allais pouvoir proposer.

En parallèle de ça, elle commence à écrire, par un besoin d’articuler ses pensées. “Je ne savais pas à la base que ce texte que j’avais écrit, qui n’a pas beaucoup bougé de la version originale, serait destiné à ce spectacle.“ Mais quand elle le fait lire au créateur du projet, il tombe sous le charme des mots. Martin Dust se lance dans la composition de la chanson et de la musique jumelé au texte de l’auteure.

Un nouvel univers qu’elle a dû s’approprier : gérer l’espace et son approche avec le public avec qui elle peut jouer contrairement au théâtre. C’est aussi pour l’interprète, l’occasion de rendre hommage à sa grand-mère. Le chef d’orchestre lui offre l’opportunité de faire un deuxième numéro “La guadeloupéenne“. Pour Jessy Salomée Ugolin, c’est une grande première de chanter en créole.

Une fois de plus c’est sa grand-mère qui la poussera à se surpasser : “Ma grand-mère est très importante, j’y pense tout le temps dans ma vie, mais aussi beaucoup dans ma vie artistique.“ Le jour de la représentation, la comédienne n’a pas vu sa mère depuis un an. Installée en Guadeloupe, elle a fait le déplacement pour admirer sa fille sur scène : “Ça tombait bien, la boucle était bouclée : J’ai chanté cette chanson pour ma mère et ma grand-mère – ma mère était dans la salle et ma grand-mère dans mon cœur.

Jessy Ugolin Salomée fait partie de ces artistes, de ces femmes inspirantes. Emplie d’humilité, elle apaise et, en même temps, elle nourrit notre soif de découverte. Après une longue après-midi à ses côtés, on a envie de s’élever culturellement, de s’immiscer au cœur du cinéma, de se plonger dans des lectures, faire entendre ce que l’on a à dire sur des sujets qui nous touchent, mais aussi rire et vivre !

Les futurs projets de Jessy Salomée Ugolin : Cassandre : saison 6 La reprise du Cabaret Poussière de Martin Dust avec une grande maison de production Jessy Salomée Ugolin, aime se plonger dans ses propres histoires et a repris l’écriture pour nous préparer de belles surprises.