Nabil Harlow : l’artiste qui sublimait les stars, avant de sublimer les mots

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Nabil Harlow (Crédit photo Matthew Brooks)

Nabil Harlow saisit par la puissance des mots, par la douceur de sa voix et par cette musique d’un autre temps qui s’accorde avec la nôtre. “Hérétique”, c’est comme ça qu’il a décidé de baptiser son premier EP. Un adjectif fort, non choisi au hasard par l’artiste, soulignant cette volonté de mettre en action ses combats et d’aller contre les idéaux imposés par la société. Bien plus que de simples titres, mais des œuvres impactantes par la véracité des textes. Rencontre.

En photo, Nabil Harlow reflète l’image d’un homme mystérieux, dont il est difficile de déceler les traits de sa personnalité. Avec son charisme intimidant, je mentirais si je disais que je suis partie à sa rencontre pleine d’assurance. Mais mon intimidation s’est envolée, dès lors qu’il est entré au Café Vivienne à Palais Royal. Casquette rouge, bombers en cuir et sourire aux lèvres, il me demande : “On se fait la bise non ?” Il m’a suffi de ces quelques minutes pour savoir que Nabil Harlow est de ces artistes bienveillants. Mais je ne me suis pas trompée sur une chose : il a cette classe naturelle qui ne peut nous échapper. Quand Nabil Harlow arrive dans une pièce, il est difficile de ne pas être captivé par sa prestance.

L’obsession d’un art

Il y a parfois des passions ancrées en nous, hors de portées par nos parents, qui n’ont pas ou peu d’appétence pour cet art, qui nous fait tant vibrer. Une vibration que ressent Nabil Harlow lorsqu’il écoute de la musique, alors que ses parents ne l’écoutent que rarement si ce n’est dans la voiture lors de longues escapades. Cet amour de la musique né grâce à son amie d’enfance, Julie avec qui il fait les 400 coups. “On avait une relation comme Cotillard et Canet dans Jeux d’enfants. On était tout le temps ensemble.” Fille d’une professeure de piano et d’un saxophoniste, Nabil Harlow est fasciné par cet univers. “C’est comme ça que j’ai commencé à faire du piano à l’âge de 6 ans.” Chez elle, il se laisse bercer dès lors qu’il entend une note. Chez Julie on aime l’art et on ne montre pas n’importe quel dessin animé aux enfants. C’est ainsi, qu’il découvre chez sa meilleure amie “Fantasia”, de Disney sorti en 1940.  “Je suis tombé amoureux de Tchaikovsky. A partir de ce moment-là, la musique est devenue obsessionnelle.

 
 
 
 
 
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Nabil Harlow rentre au conservatoire, avant de s’intéresser à la poésie des mots vers 17 ans. Un âge marquant la fin de l’adolescence pour laisser place à la vie d’adulte, poussant à la réflexion sur ses envies, son existence. Habitant en banlieue, le jeune homme qu’il était s’interdit de rêver à cette vie d’artiste. Il doit garder les pieds sur terre et gagner sa vie avec un “vrai” travail. “J’avais tenté à l’époque, en rencontrant Universal avec une première démo, je devais avoir 20 ans. Ils m’ont proposé de revenir avec d’autres enregistrements.” Nabil Harlow ne reviendra pas et s’envole pour les Etats-Unis, à New York plus précisément et débute une belle carrière dans la mode.

En mouvement constant

La mode n’est-elle pas un art ? La réponse est oui. Ce n’est peut-être pas dans la musique qu’il fait ses premiers pas, mais Nabil Harlow peut exprimer toutes ces idées artistiques à travers ses créations. Tout en respectant l’identité des marques pour lesquelles il travaille, ses idées fusent et son talent se fait vite remarquer. En quelques années, Nabil Harlow devient directeur artistique chez Balmain Hair et côtoie les plus grandes stars qui lui font confiance les yeux fermés.

15 ans de vie frénétique défilent sur les grands boulevards New-Yorkais, une ville qui ne dort jamais. Ses six dernières années de sa vie à New York seront d’autant plus intenses, avec des allers-retours à Paris. “J’étais en contrat en direction, avec une maison artistique. J’étais obligé de revenir en France, une ou deux fois par mois.” L’artiste ne met jamais sa carrière en pause, mais la vie en décidera autrement, l’obligeant à tout stopper et s’enfermer.

Pause et prise de conscience

Le covid-19 a frappé et n’épargne personne. Nabil Harlow se retrouve comme des millions de gens confinés. Une épreuve pour tous, mais s’avérant bénéfique pour le créateur artistique.

Cantonné à rester chez lui, il fait le point sur sa vie professionnelle et personnelle. “Je me suis demandé ce que j’allais faire après, ce qu’allait être la suite et si j’avais encore des challenges dans mon métier.” La réponse est non. Son obsession pour la musique ne l’a pas quitté, elle est toujours présente, alors pourquoi pas maintenant ? “Je ne pouvais pas laisser mon rêve de faire de la musique à la poubelle. J’ai un ami qui m’a fait ressortir mes démos que j’avais réalisées 20 ans auparavant et je suis retourné au studio pour enregistrer Le Garçon du Quartier.

Vivre la musique

Il a aimé ces stars qu’il embellissait par la mode et la coiffure, mais son amour pour les mots était bien trop grand. Désormais, il veut embellir la vie des gens par la force de ses lettres chantées.

Chanter les textes des autres, Nabil Harlow ne sait pas s’il en serait capable. Peut-être, en travaillant et en ayant de la rigueur pour y parvenir. “Mais j’ai besoin de ressentir ce que je chante.” Pour cela, il a besoin d’écrire ses propres textes. Lui ce qu’il aime ce sont les auteurs. Il aime capter les passages emplis d’émotions, un sourire ou une larme que l’on peut plus facilement imaginer quand les chansons sont écrites par l’interprète. “J’ai besoin d’écrire mes chansons. Si je les écris, c’est une réalité et la musique on la vit autrement.

 
 
 
 
 
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D’”Hérétique” à “C’est pas vrai”, en passant par “Le Garçon du quartier”, Nabil Harlow nous plonge au-delà de sa réalité, mais une réalité bien présente dans la société. Il n’a pas eu peur de se livrer sur son histoire et d’être libre d’exprimer ses engagements. Ainsi, il ouvre une porte sur son intimité, dans laquelle il nous autorise à s’introduire, pour se l’approprier, avec des mots qui peuvent faire écho à notre propre vécu.

Ses combats en chanson

Ce sont des chansons construites sur des sentiments sincères, des choses que j’ai vécus et des choses qui existent en moi.

Choisir de baptiser son EP “Hérétique”, sera donc son premier combat, contre le racisme, qu’il subit un peu tous les jours. Également un titre de son album, qui fait référence à sa fascination pour Jeanne D’arc sa “première idole” quand il était gamin, qu’il prend en exemple sur ce qu’il peut ressentir en tant que maghrébin.

La première fois qu’il voit cette femme inscrite dans l’Histoire, il était tout petit et montait à Paris avec sa mère. “On arrive du côté Rivoli où il y a la statue de Jeanne D’Arc dorée, et je dis à ma mère -il prend une autre intonation pour imiter ce moment – C’est qui, c’est quiii ? Mais c’est Jeanne D’Arc ? Mais c’est qui Jeanne D’Arc ?” Nabil Harlow a une nouvelle obsession, ou peut-être était-ce sa première ? Quoi qu’il en soit, sa mère sait déjà qu’il ne lâchera pas l’affaire. Si elle lui en raconte une partie, elle amène son fils à la bibliothèque pour qu’il puisse lire toutes les œuvres au sujet de cette femme brûlée vivante. Un détail qui fascine Nabil Harlow et en même temps, l’enfant qu’il était ne comprenait pas bien pourquoi, comment une femme qui a sauvé tout le monde et vue comme une héroïne nationale pouvait être tuée.

Il prend conscience de la cruauté de l’Homme et qu’il sera difficile de faire confiance aux autres. “Hérétique c’est un peu tout ça. J’ai fait cette chanson, parce que je trouve que la communauté maghrébine en France, il y a un peu ce truc de Jeanne D’Arc. Je ne dis pas que ce sont des héros, mais c’est des gens que l’on a ramenés pour 1000 raisons. Mon grand-père il était dans les constructions, il a aidé à construire plein de choses, que ce soit en France ou en Algérie qui était Française. Et tout d’un coup, ils sont devenus les pestiférés.”

L’injustice

Une France où il doit justifier ses origines, alors que sa grand-mère maternelle est française, tout comme lui d’ailleurs, mais elle, elle s’appelle Anna. Une France qui fait des amalgames – “enchaînée au bucher ma race est folle. On nous confond, on nous juge sans la parole” – chante-t-il,  le poussant à devoir faire attention où il s’assoit dans le métro. Si à 20 ans il avait cette innocence avec son look punk et qu’il se sentait libre de se mettre où il veut, désormais il sait qu’il peut faire “peur” : “Aujourd’hui quand je suis en casquette, jogging, je fais attention où je m’assois dans le métro. Pourtant, je suis la même personne, plus sensible qu’à 20 ans, parce que la réalité de la vie m’a fragilisé, m’a rendu plus sensible. Je vois que les femmes elles ont peur de moi. C’est super violent quand tu es une personne gentille ou sincère. C’est horrible…

Un sentiment qui le rend triste et en même temps le désinvolte, lui qui veut apaiser les âmes parfois meurtries par la vie en chantant. Alors il se l’est promis, il chanterait cette injustice pour faire bouger les choses. “Ce n’est plus possible de nous fermer la bouche, de dire que l’on n’existe pas et que l’on nous résume à ce que l’on veut montrer de nous. On montre de nous toujours les mêmes choses : des terroristes dans les films, des bandits de quartier hyper dangereux, des humoristes qui font des blagues sur le couscous de leur mère… et ces représentations sont insupportables.

Argent et solitude

D’”Hérétique”, on passe à une période de sa vie qu’il a tenu à raconter dans cet EP : celle de la déchéance de ces soirées où la richesse est à son comble. Mais derrière les portes luxueuses des hôtels Parisiens, se cachent tristesse et solitude. “‘Hôtel Paris’, c’est vraiment une chanson de désespoir. J’avais besoin d’avoir ces filles qui ont l’air de souffrir, qui vagabondent dans cet hôtel complètement dénudées : il n’y a plus rien sur les murs, les murs sont arrachés. C’est vraiment une violence intérieure du luxe avec tout ce que ça engendre.

 
 
 
 
 
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Un milieu qu’il connait bien, ayant évolué pendant des années dans le monde de la mode. Un milieu qu’il rêvait de côtoyer quand il était dans sa banlieue, mais très vite, il désenchante. Des gens richissimes à ne plus savoir quoi faire de leur argent et se contentent d’exister seulement quand les lumières sont braquées sur eux. Des gens qui s’enivrent de l’oubli. “Je n’ai pas trouvé un bonheur la dedans. Je ne suis pas matérialiste, je suis plutôt vagabond. Si tu me fais partir sur une île déserte, je prends seulement  un disque dur et un ordinateur pour avoir des souvenirs, car je suis très nostalgique du souvenir. Pour moi, l’image elle est très importante. Mais je n’ai pas ce truc du matériel.

Confronté à cette vie démesurée, il me regarde, puis presque gêné me dit : “Je sais que c’est une phrase à la con, mais l’argent ne fait vraiment pas le bonheur. Evident ça aide pour plein de choses, mais quand ça te permet juste de vivre correctement, pas de survivre, parce que c’est toujours compliqué, mais quand tu peux vivre bien, ça suffit.” Puis, il s’excuse de trop parler et rit.  

Message personnel

Difficile avec Nabil Harlow de ne pas évoquer tous ses titres, tant les sujets sont importants. On peut également citer “C’est pas vrai”, une hymne qui s’adresse aux femmes ( voire aux hommes) avec tous ces dictats de beauté que nous impose la société. Des réseaux sociaux qui nous poussent à se comparer les unes aux autres et à être toujours dans le contrôle de son image. Une chanson également personnelle, qui raconte la trahison amicale : “Je l’ai écrite dans un moment de souffrance avec des amitiés féminines. Des gens à qui tu confis des secrets, à qui tu racontes des choses hyper personnelles, parce qu’on te met en confiance, on te fait parler et puis ensuite on prend tes propos on les utilise, on les déforme contre toi.

Dans ses blessures personnelles, il y a aussi Le Garçon du quartier, celui qui tait son homosexualité peur d’être jugé. Une vérité cachée pour ne pas perturber le quotidien familial, pour ne pas heurter ses amis qui ne comprendraient peut-être pas. Des sentiments refoulés menant à essayer de comprendre qui on est vraiment.  “Le Garçon du quartier” est presque une chanson salvatrice pour beaucoup, qui ont connus ou connaissent ce jugement injuste de ne pas être libre d’aimer. Il n’est donc pas étonnant quand Nabil Harlow me confie que depuis sa sortie, il reçoit des centaines de messages par jour. “Je sais comment ça se passe quand tu refoules ta sexualité, quand tu refoules tes désirs… c’est pour ça qu’il y a cette introduction où la mère dit ‘je ne t’ai pas appris à aimer’. Quand tu ne sais pas comment aimer, amener le respect dans l’amour, il t’arrive un petit peu tout ce qu’il se passe dans le clip :  tu te retrouves à coucher avec pas mal de monde, à expérimenter, à essayer de savoir qui tu es, qui tu désires pendant le moment.

De la musique au cinéma

Des textes accompagnés par des clips dignes d’œuvres cinématographiques. Les influences sont d’ailleurs bien présentes et pas n’importe lesquelles : “Autant en emporte le vent” dans “Hôtel Paris” : “Il y a une scène de deuil avec Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent, ou elle a cette robe noire, avec un col roulé et elle pleure, ça m’a tellement marqué enfant… Je lie beaucoup les images à des émotions et la souffrance, le deuil, je pense toujours à ce passage, parce que c’est tellement intense que je ne pense pas que l’on puisse plus souffrir. Dans Hôtel Paris, c’était ce que je voulais montrer.”  “Baby Jane” ou “This Woman is Dangerous” reflétant la folie, dans “C’est pas vrai” ou encore les couleurs de “Moulin Rouge” et la sexualité des années folles dans “Gatsby le magnifique”, pour “Le Garçon du Quartier”.

 
 
 
 
 
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Images et textes forts, adoucies par une musique entraînante, mais là encore Nabil Harlow est un génie. Fan de la pop et de l’électro des années 1980, on peut définir “Hérétique” comme une sorte d’ovni musical. L’artiste a su combiner la modernité de sonorités actuelles à la nostalgie d’antan, pour en faire une œuvre finalement non datée dans une fresque chronologique et perdurera encore des années. L’art d’un grand artiste qui fera danser nos enfants, tout comme on danse encore sur les tubes de nos parents.

Nabil Harlow, artiste d’un autre temps, venu défendre les mœurs de cette vie actuelle parfois si cruelle, déchirée par des milliers d’injustices. Il n’a pas peur de porter sa voix, défendre ses idées par le biais de son art. Porte-parole d’une nouvelle génération, il se positionne ainsi comme la relève des plus grands auteurs et compositeurs, à l’image de Balavoine et de Renaud.