Djanis Bouzyani : le charisme d’un artiste envoûtant

Djanis Bouzyani

Crédit photo : Ali Mahdavi

Humble, le comédien Djanis Bouzyani ne se considère pas comme un grand acteur. Pourtant chacun de ses personnages bouleverse son public ou les cinéastes. Face à la caméra, l’artiste à cette aisance saisissante. Une maîtrise pas si évidente qu’elle en à l’air. Le comédien se laisse éclore au moment présent, sans contrôle, juste par instinct. Sur Netflix dans Mme Claude, il se confie sur son parcours et sa vision du cinéma.

Jean, sweat et casquette, sous cette allure décontractée, se cache l’âme d’un artiste qui a décidé en 5e de mettre un terme à sa scolarité. Djanis Bouzyani sait qu’il n’est pas fait pour les études, passionné par la danse et le cinéma, sa “féniardise” comme il le dit, le poussera vers cette liberté artistique. “Petit, je voyais plein de choses que j’aimais, notamment des films, mais ce n’est pas pour autant que je me disais ‘je crois que j’ai envie de faire ça ou que je rêvais de ça’. J’aimais juste parce que c’était beau, ça me plaisait et ça me faisait rêver, mais pas en tant qu’artiste, juste en tant que petit garçon.”

Porté par ses envies

Djanis Bouzyani fait ses armes avec la danse, une discipline qui lui offre cette possibilité de s’exprimer sans parler, « et ça m’arrange » lance-t-il. Le mouvement du corps le fascine, il aime observer les danseurs autour de lui. Puis, il y a cette prestation qu’il voit à la télévision. Sur un coup de tête, il fait ses valises, direction Los Angeles. Sur place, le jeune homme de 17 ans découvre une nouvelle énergie. Il ne parle pas un mot d’anglais, mais ce petit détail ne démotive pas Djanis Bouzyani poussé par sa soif de nouveauté. Il s’inscrit au cours de Debbie Reynold, l’une des plus grandes actrices américaines des années 50-60, connue pour son personnage Kathy Selden dans Singing in the rain, sorti en 1953.

Son voyage l’amène à intégrer un grand show monté par des amis où il fera la rencontre de Dita Von Teese qui vient souvent le voir. “Un jour je rentre à Paris, elle me propose d’aller à sa dernière du Crazy Horse.”

Ce soir-là, Djanis Bouzyani fait la rencontre d’Ali Mahdavi, un photographe, metteur en scène et réalisateur. Une amitié à la fois humaine et artistique se forme entre les trois artistes. Ali Mahdavi propose à ses deux muses de réaliser un court-métrage Forbidden Love disponible sur YouTube depuis février dernier. “Tout ça s’est fait en quelques jours. On sait dit on va le faire, j’avais gribouillé quelques idées. Elle ( Dita Von Teese )  il lui restait un jour avant de repartir à Los Angeles.”

Désir sexuel et poésie

Forbidden Love relate la vie d’une cette actrice héroïnomane qui a perdu son enfant. Une ambiance sombre et froide à l’image du deuil, qu’elle comble avec la présence de son dealer incarné par Djanis Bouzyani. Le comédien à la gueule d’ange, dévoile par ce personnage un visage pernicieux, profitant du désarroi de cette mère solitaire. “On a tous ça en nous. On a tous un vice, on a tous des vertus et ça dépend à quel moment de notre vie on est, et dans quelle situation on les utilise. Si tu es totalement vicieux tu es con, si tu es totalement naïf tu es con aussi. Je pense que le bon équilibre c’est d’avoir les deux en soi.”

Un rapport incestueux s’installe entre les personnages, dégageant une forte tension sexuelle reflétant la tristesse des protagonistes en manque d’amour. Le court métrage demande aux comédiens d’explorer leur poésie pour souligner la beauté de ces corps qui s’enlacent. “Je n’ai pas de problème avec le corps. Il y avait des scènes qui étaient un peu plus osées, ils ont préféré de ne pas les mettre. Mais je me dis que l’on a tous le même corps.”

Djanis Bouzyani révèle qu’il est pour lui plus difficile d’exprimer l’art des mots par la parole. “La voix, ça dit plus, c’est plus personnel. C’est par la voix que les émotions passent, enfin c’est mon avis, je pense que ça dépend des gens. Mais j’ai beaucoup plus de gêne à dire bonjour à des personnes que je ne connais pas, qu’à faire une scène dénudée.” 

“Hafsia c’est très militaire, elle te fait répéter mille fois le texte

Spontanée et sans filtre, Djanis Bouzyani est aussi ce jeune homme timide et réservé. Deux traits de caractère qui plaisent aux cinéastes. Ils puisent en lui des émotions contraires à sa personnalité, soulignant ainsi la puissance de son talent.

Djanis Bouzyani se glisse d’un personnage à un autre avec cette puissante vérité. Dans la peau d’un terroriste dans L’Assaut de Julien Leclerc, le comédien nous glace le sang, tout comme il nous fera rire dans Tu mérites un amour de Asfa Hafsia Herzi, jeune actrice et réalisatrice révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet en 2007, film pour lequel elle recevra le César 2008 du Meilleur Espoir Féminin.

Tu mérites un amour se fait avec les moyens du bord, mais la réalisatrice ne laisse rien échapper. Elle demande une grande rigueur à ses comédiens. “Hafsia c’est très militaire, elle te fait répéter mille fois le texte avant de tourner. Tu peux passer une journée entière à dire la même scène.”

Une exigence permettant à cette ode à l’amour d’être sélectionnée pour la Semaine de la Critique au Festival de Cannes en 2019. Djanis Bouzyani interprète Ali. Un personnage solaire, empli d’humour. Une armure derrière laquelle il y a la fragilité d’un garçon préférant s’oublier au profit de ses ami-es. Une interprétation qui mènera le comédien aux révélations des César 2020.

Des personnages différents portés avec beaucoup de justesse par l’acteur. On pourrait penser que Djanis Bouzyani passe beaucoup de temps à les travailler pour faire ressortir cette authenticité. Et c’est par cette même vérité qu’il répond “Je ne vais pas te mentir, je n’ai pas encore fait de film où je travaillais longtemps à l’avance et me dire : ‘ Il faut être comme ça parce le personnage il est comme ci’.”

Le silence plane, le comédien se laisse un instant de répit dans ses pensées. Il se redresse et droit dans les yeux il expose sa réflexion : “Je pense que le cinéma c’est la vie, et dans la vie tu ne réfléchis pas forcément à comment être en fonction de ce que tu vas faire ou dire. Je vois le cinéma pareil, c’est un peu de la fainéantise, mais dans ma vie de tous les jours je suis comme ça.”

Le comédien se dit admirateur de ses amis qui eux passent des heures et des heures à surligner leur texte quand lui y va à l’instinct. Il insiste sur l’importance de la rencontre avec le/la scénariste ou le/la réalisatrice dans la construction du personnage ou pour s’apprivoiser un scénario. C’est toujours avec spontanéité que le comédien avoue : “Parfois tu penses que le scénario il est nul et quand tu rencontres le réal ou la réal, elle t’en parle et c’est trop bien.”

Réécrire l’histoire

Ces derniers mois, plusieurs dialogues ont animé le comédien. Il enchaîne les projets et sera sur Netflix dès le 2 avril dans le film évènement Madame Claude réalisé par Sylvie Verheyde.

L’histoire nous ramène dans les années 60 et nous ouvre les portes du proxénétisme. Madame Claude, (Karole Rocher) s’impose dans ce milieu où seuls les hommes s’enrichissent. Femme de pouvoir, elle connaît les codes du masculin pour assouvir leur désir et devient l’une des plus grandes proxénètes. Un personnage qui a déjà inspiré le cinéma, puisqu’en 1977, un film du même nom a été réalisé par Just Jaeckin.

À la genèse de ce drame biographique, aucun rôle n’est attribué à Djanis Bouzyani. Mais la vie va en décider autrement. La réalisatrice tombe sous le charme du comédien. Elle change le cours de l’histoire et lui créer son personnage : celui d’un garçon qui se prostitue. Djanis se retrouve à la tête d’un casting brillantissime avec : Garance Marillier, Roschdy Zem, Benjamin Biolay, Pierre Deladonchamps et Hafsia Herzi.

À la réouverture – très attendues- des cinémas, on aura le plaisir de le voir en haut de l’affiche dans le long-métrage « Sœurs » de Yamina Benguigui qui retrace la vie de la réalisatrice avec Isabelle Adjani pour l’interpréter.

Le comédien ira se nourrir de l’ambiance tunisienne pour la réalisation du film de Mehdi Ben Attia avec Angès Jaoui et Samir Guesmi. Une fois de plus Djanis Bouzyani risque de nous bousculer en incarnant un jeune handicapé. Un rôle fort et essentiel dans la représentation de ces personnes souvent jugées et marginalisées.

Djanis Bouzyani fait partie de ces acteurs que l’on aime voir grandir dans chacun de ses rôles. Une rencontre bercée par la franchise – et la fraîcheur- d’un artiste touchant, libérant sa parole sans chercher à contrôler ses dires.

Le rendez-vous se poursuit avec le podcast Les rencontres de PressEyes. Aux côtés de l’auteur et animateur Kevin Elarbi, Djanis Bouzyani nous embarque dans son cinéma et nous raconte les pontes des plus grands films du 7e art.