Jammeh : un jeune acteur déterminé à devenir grand

Crédit photo : Netflix
“Banlieusards” est son tout premier rôle à l’écran. Pourtant, on ne peut qu’être subjugué par le jeu de Jammeh : son éloquence, sa façon de toucher son public, de le saisir par la force des émotions qu’il véhicule. Rencontre avec un jeune acteur qui deviendra grand.
C’est enfin le grand jour, Jammeh va pouvoir admirer sur scène l’une de ses plus grandes idoles : Kery James. Ce n’est pas en tant que rappeur, qu’il va le découvrir, mais en tant que comédien pour sa pièce “À Vif”. À la fin de la prestation, Jammeh est scotché à son siège, ébahi par l’interprétation de l’acteur qu’il considère comme “un artiste aguerri“.
Tout démarre en 2016, Jammeh vient de passer son bac et sûr de lui, il décide de mettre fin à ses études pour se consacrer au cinéma. Le jeune homme veut faire les choses bien et n’hésite pas à recontacter sa professeur de théâtre de son ancien Lycée. “Je lui ai fait part de mon envie de devenir comédien. À partir de ce moment-là, elle m’a invité un peu partout au théâtre, dont la pièce de Kery où j’ai pu assister à la première date de sa tournée théâtrale.“
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Jammeh est tout excité et en même temps très concentré à analyser le jeu de Kery James : ses mouvements, sa façon de prendre la scène et de se mouvoir. Pendant ce temps, c’est son professeur qui l’observe et elle comprend vite que Jammeh à cette fougue du jeu en lui et qu’il a besoin de poser des questions à une personne qui pourrait le comprendre. C’est donc avec surprise, que le lendemain, elle lui propose d’accompagner une classe de STMG à la rencontre du rappeur pour un question-réponse sur la pièce de théâtre.
L’échange
Ayant reçu une bonne éducation, Jammeh reste à sa place et laisse les élèves poser leurs questions. Mais personne ne lève la main. Les camarades ne sont pas vraiment motivés à en connaître plus sur l’art théâtral. Jammeh bouillonne sur sa chaise… ça en est trop : il veut savoir ! “J’ai vu que personne ne voulait l’interroger. J’ai levé la main et je l’ai harcelé de questions sur son parcours et sur tout ce qu’il avait fait.” Un homme avec qui Jammeh a finalement un peu grandi, puisque tout petit il se laissait bercer par ses morceaux, qu’il écoutait avec son frère tout en rangeant leur chambre.
Le jeune homme heureux de pouvoir enfin l’aborder, ne s’attendait pas à ce que Kery James lui pose à son tour une question : “Tu as déjà fait du théâtre ? Est-ce que ça t’intéresserait de faire du cinéma ?” À cet instant, Jammeh est comme propulsé vers un rêve merveilleux : Kery James vient de lui proposer de faire du cinéma.
“Il m’a donné le mail de la directrice de casting, en m’indiquant qu’il me donnait simplement les coordonnées, mais que je devais passer le casting comme tous les autres candidats“, tient à préciser Jammeh, pour faire taire ceux et celles qui auront la mauvaise langue de dire qu’il s’est fait pistonner.
Dès le lendemain, celui qui allait jouer dans son premier film, envoie un mail à la directrice de casting. Sans réponse, il ne lâche pas l’affaire et continue à persister pendant six longs mois, jusqu’à ce jour : “Un jour elle m’a enfin répondu, en me disant que le film était pour le moment annulé et qu’il fallait que j’arrête d’inonder sa boîte mail.“
Mais Jammeh ne baisse pas les bras pour autant et poursuit sa quête pour décrocher un rôle.
Rebondir
En 2018, il devient le grand vainqueur du concours Eloquentia. Les jurés sont saisis par sa prestation remarquable, avec notamment une fin sous fond de rap. Mais quelques mois après cette victoire, Jammeh commence à s’impatienter de ne pas décrocher de rôle. Le temps se fait long, alors il traîne sur les réseaux sociaux, sans s’attendre qu’il tomberait sur une publication Facebook qui lui changerait sa vie : le tournage de “Banlieusards” a enfin lieu.
Jammeh se presse d’envoyer un mail au nouveau directeur de casting qui le reçoit pour passer les essais. Lors de la lecture du scénario pour le premier tour, c’est un coup de chance pour Jammeh : son personnage passe un concours d’éloquence. Il en ressort confiant, avant de vite désenchanter au deuxième tour : “Le deuxième tour s’est un peu moins bien passé. J’avais deux fois plus de texte et je bossais en centre de loisir, ce n’était pas facile de combiner les deux. J’en suis ressorti mitigé : la scène avec mon petit frère s’est mal passée et celle avec Kery s’est super bien déroulée, donc je ne savais pas trop.” Mais deux semaines plus tard, ce sera la grande déception… on lui apprend qu’il n’a pas été retenu, doublé par un acteur déjà habitué à la caméra.
Déçu, Jammeh se laisse envahir par la colère. Sous la pulsion, il saisit son téléphone et appelle le directeur de casting. Ne pas le choisir est pour lui une grave erreur : “Il m’a dit : ‘ne soit pas remonté, ce n’est pas moi qui suis décisionnaire, mais reste branché s’il y a un petit rôle qui vient à se débloquer je te le donnerais’.“
Le jeune homme apprend également que les réalisateurs ont apprécié sa prestation, ce qui le réconforte et le rassure.
Comme tout le monde, il prendra cet échec comme une leçon, pour mieux avancer et se battre. Mais ça, c’était avant qu’un nouveau rebondissement pour “Banlieusards” n’arrive.
Une grande surprise
Trois semaines après ce coup de fil amer, Jammeh est recontacté par le directeur de casting, pour lui annoncer que le comédien choisi initialement ne correspondait finalement pas au profil. C’est ainsi qu’après un troisième petit casting, le comédien intègre la team du film “Banlieusards”. Jammeh avait donc raison, lui seul était fait pour le personnage de Soulaymann. “Dans la vie, il faut se battre jusqu’à la dernière seconde; parce que même quand tu penses que c’est fini, ce n’est pas fini.” Une phrase bien philosophique, à garder dans un petit coin de la tête.
Soulaymann résonne en Jammeh par leurs nombreux points communs. En effet, le personnage prépare le concours Eloquentia pour devenir avocat, une profession souvent comparée à celle de comédien. Jammeh ne fait qu’un avec ce jeune banlieusard qui rêve de grandeur et d’une place élevée dans la société. Il veut être considéré, et souhaite briser tous les stéréotypes véhiculés envers les banlieues.
La force des scènes
Quand on parle de Soulaymann on est dans l’obligation de parler de “Banlieusards 1”, dont il en est la colonne vertébrale. Mais la scène qui se démarque de toute est celle du concours d’éloquence que Jammeh partage avec Chloé Jouannet. Un passage que l’on pourrait presque comparer à la scène du film “Le président” avec Jean Gabin, modernisé par la touche de Kery James qui lui a apporté une note musicale.
Les deux jeunes gens défendent leur partie dans des textes entraînants, faisant écho au rap. “C’est vrai que cette scène était très phrasé. Moi-même quand j’ai participé au concours d’éloquence, le RAP a été ma signature de fin avec un petit texte que j’avais écrit un peu avant avec des rimes. C’était une technique pour achever mon adversaire“, lance Jammeh en rigolant. Un moment fort du film, révélant la rage de Soulaymann, lui qui à l’air si doux, gentil, acceptant ce que la vie lui a offert. Ici, il révèle une deuxième facette de sa personnalité. Il met à nu ses sentiments, sa souffrance marquée par les injustices de la société et son devoir de se battre pour devenir un des modèles de la banlieue, mettant en lumière qu’ils peuvent eux aussi réussir.
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Dans “Banlieusards 2”, on peut citer la scène de la plaidoirie, dans laquelle Jammeh est tout aussi impressionnant. De sa gestuelle à sa façon de s’exprimer, il n’est même plus Soulaymann, il est l’avocat, l’homme de droit qui se doit de faire sortir son client de prison.
Un client qui demande ce détachement à la personne qu’est réellement Soulaymann, puisque l’homme est accusé d’avoir frappé sa femme. “Kery dans ses directives me demandait de ne pas sur-jouer ce que je disais, mais de ressentir les choses et de me mettre dans la peau d’un avocat.“
Puis, vient cette scène marquante où Soulaymann fière d’avoir réussi à défendre son client, vend ses mérites à sa mère qui n’est pas vraiment fière que son fils ait défendu un homme violent. Les paroles de celle qui lui a donné la vie, lui sont comme un coup de poignard dans le coeur, lui qui attendait de la reconnaissance et de l’encouragement. Une scène compliquée à jouer pour le jeune homme, lui rappelant la réaction de sa propre mère quand il lui a annoncé qu’il voulait devenir acteur. Une profession qu’elle n’approuve pas vraiment, liée à la difficulté de réussir. “Je pense qu’il y a beaucoup d’incompréhension de la part de la maman à ce moment-là du film. Pour elle, il est inconcevable qu’il ait pu défendre un homme qui a cassé la mâchoire à une femme. Pour elle, les avocats ne devraient défendre que les victimes, or, ce n’est pas vraiment une réalité, puisqu’ils sont aussi dans l’obligation de prendre parti pour les coupables. Soulaymann, se rend alors sur le toit son petit refuge et c’est vrai que cette remise en question je l’ai beaucoup ressenti, le jour où ma mère m’a dit : ‘mais qu’est-ce que tu fais ?’“
Ce regard primordial de la mère, est traduit dans les deux films par cette importance de la famille et du respect. Des valeurs que partage Jammeh, lui permettant de créer ces liens très forts avec les autres comédiens. Les films sont portés avec une grande sincérité, où l’on croit à cette famille Traoré à laquelle beaucoup ont pu se comparer.
Un fait que l’acteur explique aussi par la notion de la solidarité, très présente dans les banlieues.
“Dans certain quartier, on vit vraiment tous ensemble. La maman d’un pote c’est aussi ta maman, la voisine du dessus tu l’as considère comme ta tata… Puis, il y a aussi l’éducation. Mes parents m’ont toujours appris à respecter les plus âgées que moi. Et pendant le tournage, j’ai eu un grand respect pour toutes les personnes avec qui j’ai joué.” Une éducation bien cadrée, emplie de principes, apportant cette belle alchimie entre les comédiens, qui ont su révéler une famille forte, avec des personnages aux personnalités bien présentes où règne le silence.
Le poids des sentiments
Si le respect prime chez les Traoré, il n’y a pas vraiment de place pour exprimer ses sentiments. Tout est dit par les actes, les regards, mais les mots sont inexistants. Une pudeur ancrée dans les banlieues et retranscrite ici à l’écran. “Je travaille sur un court-métrage où la pudeur des sentiments dans les quartiers populaires est un vrai sujet. C’est quelque chose que l’on connait, que l’on a plus ou moins vécu dans le passé, avec nos frères, nos soeurs.“
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La rage, la violence, la perte, la pudeur, le respect, ces cinq mots pourraient décrire une partie de “Banlieusards”. Il y a aussi la renaissance, avec ce voyage au Sénégal.
Les trois frères Traoré s’aiment, il n’y a aucun doute, mais cette escapade au Sénégal va renforcer leurs liens. Ils vont comme apprendre à mieux se comprendre, s’observer… Une séquence où l’on ne peut que se laisser transporter par une vague d’émotion, tout en étant sous le charme du paysage. “Je l’ai ressenti comme un nouveau départ.” Est-ce l’annonce d’un troisième volet ? Seuls les jours à venir nous le diront.
Avant de chlore cette interview, Jammeh m’a fait part de quelques mots, pour les jeunes qui comme lui voudraient devenir comédiens : “C’est un métier très compliqué. Je serais un menteur si je vous disiez que c’était facile. Mais si vous sentez que c’est ce que vous voulez faire, allez y avec audace. Prenez les conseils, mais n’écoutez pas les gens qui sont négatifs et qui vont vous décourager. Faites votre chemin et si ça marche tant mieux et si ça ne marche pas, c’est que ça ne devait pas marcher, mais il faut tenter.“
Tout comme Soulaymann dans “Banlieusards”, est l’exemple même que les jeunes des quartiers populaires peuvent réussir, Jammeh l’est aussi pour le monde du cinéma. Un nouveau visage à retenir, tant par son talent de comédien, que par sa prestance et sa simplicité.