Syrus Shahidi : une vocation tardive pour un acteur inné

Syrus Shahidi. Pour beaucoup, ce prénom fait écho à la série « Plan cœur » diffusée sur Netflix. À travers ce portrait, le comédien se livre sur son parcours et  sur ses rôles complexes à la trame pleine de profondeur. 

Cette fois-ci, je vous embarque à Cannes, à l’hôtel Le Majestic, pour rencontrer le comédien Syrus Shahidi, présent pour le festival de Canneseries. Sur le chemin, je prends le temps de savourer la chaleur du soleil et la vue de la mer. À quelques pas de l’entrée de l’hôtel, je reconnais Syrus Shahidi muni de ce nouvel accessoire de mode, le masque qui arrive également. Je me dirige vers lui pour me présenter. « Je suis allé faire un petit tour pour m’acheter de quoi manger ! J’espère que tu ne m’as pas appelé, je n’avais pas mon portable sur moi », s’excuse-t-il. À l’intérieur, je suis éblouie par la beauté du lieu et de ses espaces immenses. 

crédit photo : @bambi_kappauf

Nous nous installons confortablement dans la partie restauration, avant que le comédien nous plonge dans son parcours théâtral et cinématographique. Devenir comédien n’était pas une vocation, mais le fruit du hasard. À seulement 22 ans, il est le bras droit de Kappauf, patron du magazine Citizen K. Ce dernier dit au jeune homme qu’il ne s’exprime pas très bien et qu’il devrait prendre des cours de théâtre ! « Je suis un ancien dyslexique et parfois ça me revient un petit peu, quand je suis fatigué. Il m’a encouragé à aller prendre des cours de théâtre. J’avais un peu la flemme, mais j’y suis allé. » Un conseil qui devient une véritable révélation. Une révélation de la scène pour Syrus Shahidi, mais aussi l’une des plus grandes révélations pour le public ! 

Le boum d’un monologue 

Syrus Shahidi passe un an dans une école de théâtre pour se former au métier de comédien. La fin de l’année approche, l’école prépare sa représentation ouverte au public. Mais Syrus Shahidi travaille toujours pour Kappauf et ne sait pas s’il pourra s’engager auprès de ses camarades. « C’était vraiment un personnage assez ouf (Kappauf), très talentueux, mais très prenant. Je n’avais pas envie de planter quelqu’un. Je ne savais pas si j’allais pouvoir faire la pièce. »

Pour sa professeure, il est hors de question que Syrus n’ait rien à présenter, si finalement son temps le lui permettait. Elle lui conseil de travailler un monologue : « Comme ça, si tu n’es pas là, tu ne pénalises personne, et si tu es là, c’est cool et tu l’as fait. » Une période durant laquelle Syrus Shahidi avait besoin d’extérioriser beaucoup de choses enfouies en lui. Elle lui propose alors de jouer la nouvelle de Nicolas Gogol « Le journal d’un fou », mis en scène par Wally Bajeux. « J’ai beaucoup aimé le texte. Je crois que j’avais aussi ce défi : quand ce n’est pas une vocation, que tu ne sais pas que tu veux faire ça et que tu te réveilles sur le tard, on m’a souvent dit :  ‘Ah ouais, tu penses que, parce que tu es beau gosse, ça va marcher et que tu vas être acteur’. Il y avait ce besoin de prouver que j’en avais sous le capot. »

Le comédien

Syrus Shahidi

interprète

“Le journal

d’un fou”

Mise en scène

: Wally Bajeux

Le soir du spectacle, la chance lui sourit. Il est libéré par Kappauf. Syrus est sur les planches pour dévoiler son interprétation qu’il a lui-même mise en scène. C’est un succès fou qu’il jouera pendant trois ans ! Syrus Sahidi se donne à 300%, sans relâche, pour montrer que ce n’est pas juste pour montrer sa belle gueule, mais qu’il est bel et bien un acteur.

Finalement, ce sera cette rencontre avec Kappauf qui aura contribué à révéler son talent d’acteur. Il le pousse sur les planches tout en le gardant sous le bras, obligeant le jeune homme à travailler seul de son côté pour finalement briller le jour J, avec ce texte complexe d’un homme en pleine démence. « Il ne me serait rien arrivé derrière, en tout cas pas les mêmes choses, si je n’avais pas fait ça. J’ai commencé par des trucs un peu plus profonds qu’un « Plan cœur ». À l’époque, j’ai fait ce film qui est l’une de mes plus belles expériences de tournage : « Une histoire de fou ». Un film que j’ai fait avec Robert Guédiguian. Il est venu me voir sur scène et il y avait ce rapport là où il s’est dit « il envoie ». C’est comme ça que j’ai trouvé mon agent. J’ai pu rencontrer des metteurs en scène et j’ai commencé à bosser un peu plus. »

Le rôle de toute une vie

Un jeu d’acteur l’amenant vers un projet à l’histoire forte « 24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi ».  « C’est mon premier rôle important au cinéma. C’était super particulier, car j’ai interprété le rôle d’Ilan Halimi, ce jeune garçon qui est mort dans d’atroces souffrances. J’ai rencontré sa maman et ses sœurs. » Une première devant la caméra qui génère en Syrus Shahidi beaucoup de stress. Le jeune homme ne veut pas se louper. Il est primordial pour lui d’honorer la mémoire de ce garçon. « Je me rappelle qu’à l’époque, j’avais 16-18 ans. Cette histoire, ça m’avait marqué, ça m’avait choqué. J’imagine sa maman qui me disait qu’elle était pour toujours à moitié morte, car elle avait perdu son fils. C’était très lourd. »

Un film pour lequel l’acteur a perdu 13 kilos en trois semaines. Pour lui , c’était le minium qu’il pouvait faire afin d’être le plus juste pour incarner Ilan. D’une voix emplie d’émotion, il me confie : « Encore aujourd’hui, ça me fait quelque chose de particulier, le jour de sa mort, ça me fait quelque chose à chaque fois. Je pense que ça ne me quittera vraiment jamais, il sera toujours là. Je suis même allé le voir sur sa tombe en Israël. Sacrée histoire aussi, car je suis d’origine iranienne donc c’était compliqué de rentrer là-bas. » 

« Je me suis vraiment nourri de toute l’histoire »

Une première bouleversante au cinéma qui lui permet de croiser le chemin de Robert Guédiguian, pour le rôle d’Aram dans « Une histoire de fou ». Un jeune arménien qui se bat pour rendre justice au génocide arménien de 1915. Il tente un premier attentat à Paris contre l’ambassadeur de Turquie. Tout ne va pas se dérouler comme il le souhaite, lorsqu’il apprend qu’un Français a été grièvement blessé dans cette attaque meurtrière. « Ce n’est pas un personnage qui existait, mais imaginé par Robert Guédiguian, le réalisateur, par rapport à une histoire vraie. Il a pris plusieurs caractéristiques d’histoires réelles et les a mises un peu dans ce personnage. »

crédit photo : @charleliephoto

Un casting compliqué pour l’acteur face à un réalisateur exigeant lui faisant passer 5 à 6 essais ! « J’ai compris après que tout au long de tous ces essais, où il ne me disait pas qu’il me prenait et qu’il me faisait galérer, je me préparais en fait petit à petit. » Une fois le rôle attribué, Syrus est parti en immersion en Arménie pour rencontrer les Arméniens et s’imprégner de leur culture. « Je me suis vraiment nourri de toute l’histoire. »

À travers ses mots et l’intonation de sa voix, je peux y deviner la tendresse qu’il a pour ses personnages. Notamment pour celui dans « Amare Amaro ». Un rôle symbolique puisqu’il fait partie de sa propre ambition avec le réalisateur Julien Paolini, l’un de ses meilleurs amis. 

« Amare Amaro » : l’amitié à l’œuvre

« On a monté notre propre société pour faire ce film que l’on a fait tout seul. Enfin tout seul… il y a beaucoup de gens qui nous ont aidés, mais c’est nous qui avons géré. Ça a été une grosse bataille. Julien, qui est mon binôme, essaie depuis longtemps de faire son premier long-métrage. Du coup, on s’est dit : ‘Ce n’est pas grave, on va le faire ensemble’. On a galéré, on ne le referait pas aujourd’hui. C’était très dur, mais on est super content du résultat. On a eu une super belle presse et pas mal de festivals à droite et à gauche. »

« Amare Amaro » est une adaptation d’« Antigone », transposé en homme, incarné par Syrus. « Tous les rôles ont changé de sexe. » Julien Paolini transporte le spectateur dans sa propre vision de la tragédie grecque à laquelle il donne un dynamisme contemporain au cœur d’un village sicilien. Le film retrace l’histoire de Gaetano qui se bat pour enterrer son frère dans le village. Considéré comme un homme dangereux, les habitants s’y opposent par peur qu’il propage une malédiction dans la terre et que les gens deviennent mauvais.

Le réalisateur a su mêler avec originalité le thriller, le western et la comédie romantique. Trois genres cinématographiques donnant au film une véritable identité. « Amare Amaro » nous introduit au cœur d’une atmosphère à la fois sombre et pleine de noirceur à travers le rôle de Syrus Shahidi prêt à tout pour son frère, tout en y apportant un message d’amour soulignant la poésie italienne. 

« Je le trouve très charismatique ce personnage », dit-il fièrement. « J’ai fait plein d’avant-premières de ce film-là. À la fin, les gens ils ne me reconnaissaient pas. Ils ne captaient pas que j’étais l’acteur du film. Dedans, j’ai une barbe énorme. Je fais 5/6 kilos de muscles en plus. J’aime bien un peu brouiller les pistes. J’ai fait « Plan cœur », mais j’ai fait ça aussi et ça n’a rien à voir. J’essaie d’éviter les cases, mais c’est dur. »

L’œil d’un cinéma identitaire 

Les « cases », un mot qui revient souvent dans l’univers de l’acting français où nombreux sont les acteurs condamnés à jouer toujours les mêmes rôles. Mais ici, c’est un nouveau problème que rencontre Syrus Shahidi lorsqu’il m’évoque cette notion. Un terme qui le renvoie à ses origines iraniennes, voire même à son physique. Le garçon aux yeux et aux cheveux noirs, au style que la société définirait de parisien, a parfois du mal à trouver sa place lors des castings. « On m’a dit tellement de fois : ‘Non, il ne fait pas assez Parisien, il ne fait pas assez Français’. Il y a ce truc-là en France. Dans le cinéma français, on va chercher cette vérité-là. En gros, les Américains ont le truc de la performance, de se mettre vraiment dans le rôle et je trouve ça trop cool. Il n’y a pas longtemps, j’ai passé des essais pour un rôle de migrant et on m’a dit : ‘Non, mais toi, tu ne fais pas assez migrant. Je sens trop que tu es un petit Parisien’. C’est ouf, car je fais trop Iranien pour des rôles de Français, mais je fais trop Français pour jouer des rôles d’Iraniens. »

crédit photo : @laetitiamontalembert

Une problématique qu’il espère que sa génération et celles à venir pourront réussir à résoudre pour un cinéma ouvert à toutes et à tous, pour des rôles multiculturels ! Un combat qu’il mène déjà en tant qu’auteur pour sa propre série. « Je suis en train de développer une série, avec une boîte de prod qui s’appelle Scarlett, en écriture sur ça. Je raconte un peu mon histoire. C’est très romancé, mais je raconte l’histoire d’un gars qui est partagé entre sa culture iranienne et sa culture française. » Une série comme un engagement qui lui tient à cœur pour être au plus proche de tous ces jeunes gens qui font face à des préjugés liés à leur double nationalité. 

Sensibilité éclectique

Syrus Shahidi dégage une grande sensibilité quand il parle de ses combats, de ses rôles. Une sensibilité qu’il dégage aussi à l’écran. Quand je lui en fais part, l’acteur quelque peu gêné répond : « Je le prends comme un compliment. Je pense que je l’ai moins dans « Amare Amaro ». C’est dur de parler de soi dans ce genre de questionnements, mais si j’étais avec Julien, il te dirait que je suis quelqu’un d’hyper sensible. Je ne vais pas me jeter des fleurs et je n’ai pas envie de le faire, mais je pense que de toute façon chaque acteur, quand il va sur un rôle, il vient avec des tiroirs : il se dit « Je vais faire ça, ça peut-être bien pour ce truc-là ». Donc forcément, il y a un peu de moi et je pense que je n’ai pas l’air d’être un mec qui n’est pas sensible, non ? Je pleure parfois devant des films et des séries (rire). »

Pour découvrir les nombreuses palettes d’émotions que peut offrir Syrus Shahidi, vous pouvez regarder la comédie dramatique « Blockbuster », disponible sur Netflix. L’acteur fait également partie des deux premières saisons de la série à succès « Plan cœur », que l’on espère renouvelée pour un troisième volet ! Il sera prochainement dans la saison 2 de « Mythos » sur Arte, et de retour au théâtre avec des dates qu’il nous communiquera bientôt !

Une belle rencontre, tout aussi passionnante, qui dévoile le visage d’un acteur à la quête vers le cinéma tardive. Un apprentissage constant sur le terrain et pourtant… De la comédie au drame, Syrus Shahidi sait trouver la faille pour nous faire rire ou pleurer.