Kahina Carina se confronte à ses émotions pour des personnages authentiques

Kahina Carina, actrice, comédienne, Netflix, PressEyes

Crédit photo : Kahina Carina

Rendez-vous chez Umami Matcha Café pour rencontrer Kahina Carina. Une adresse qui dévoile son amour pour le matcha qu’elle adore boire à n’importe quel moment de la journée. Sa pause plaisir pour un regain d’énergie. Je vous rassure, je ne l’ai pas rencontré pour débattre des bienfaits du matcha, mais bien de sa carrière et de son envie de devenir comédienne.

Une vocation qu’elle a du mal à expliquer. Avec des parents passionnés de cinéma, sa vie est sans cesse rythmée par des histoires trépidantes que son père et sa mère aiment à lui faire découvrir à travers les films.  Kahina Carina s’éprend pour les acteurs et les actrices, elle aussi veut pouvoir raconter des histoires. “C’est très bizarre, cette envie de devenir comédienne je ne l’explique pas vraiment. Ça met tombé dessus comme une évidence, Comme je regardais beaucoup de films à la maison, j’avais l’impression que c’était le seul métier qui existait. Je n’avais pas trop conscience des métiers de mes parents, je ne savais pas qu’il y avait autre chose, si ce n’est de devenir maîtresse d’école.” À 7 ans, elle rêve déjà d’être comédienne et débute ses cours de théâtre dès l’adolescence.

L’évolution du jeu

À ses débuts, Kahina veut jouer des rôles qui lui offrent la possibilité de grandir plus vite que son âge avec des personnages totalement différents d’elle. Elle veut vivre des expériences qui la sortent de son propre vécu. En prenant de la maturité, en explorant les personnages, elle a appris l’importance du jeu en lui-même. Les émotions qu’elle peut véhiculer à travers un personnage. Des émotions maîtrisées ou parfois qui surviennent comme par surprise, sans même que l’actrice ne s’y attende pour donner un magnifique tableau. “Il y a des choses qui peuvent nous échapper. Tu dois essayer le plus possible de tout contrôler en fonction de ce que veut le scénariste, le réalisateur et te donner un objectif final de ce que la scène doit être. Mais parfois ça passe totalement par autre chose. Et là, tu touches une certaine vulnérabilité, une sorte de lâcher prise, de disponibilité… et ce sont des moments qui donnent une autre couleur à la scène et c’est quelque chose qui me touche beaucoup et que j’adore traverser.” Des instants magiques, dans lesquels la comédienne se perd pour se sentir vivante.

Photo : Guillaume Plas

Kahina prend le temps d’analyser son jeu et d’observer son évolution pour avancer encore et toujours. Elle a d’ailleurs pu constater que prendre en maturité dans ce métier pouvait découler sur des prestations beaucoup plus profondes.

Si adolescente elle voulait à tout prix incarner des personnages différents d’elle, elle n’a plus peur de se confronter à elle-même pour comprendre au mieux toutes les facettes de ses personnages. “Je m’aperçois de plus en plus de l’importance de travailler sur soi et de se connaître. Aujourd’hui, j’aborde des rôles avec des complexités que je n’aurais même pas vu ou compris il y a quelques années. J’aurais vu ça plus en surface parce que j’étais jeune. Et plus t’acquiert une maturité dans la vie et plus tu l’as aussi dans ton jeu“, explique Kahina avant d’exprimer sa joie lorsqu’elle voit nos boissons arriver : “Miam j’en rêvais de ce matcha.” Une véritable addict de cet élixir vert.

 Se laisser guider par ses émotions

Comprendre son personnage et son histoire est la clé pour l’incarner au mieux. Néanmoins, Kahina prévient, qu’il faut éviter de tomber dans l’intellectualisation poussée par la peur d’avoir un jeu creux ou d’être en surface. Une technique qui finalement peut enlever toute émotion, entraînant le comédien dans une mécanique régie par un texte mettant de côté l’humain qu’est avant tout l’acteur ou l’actrice. “J’ai eu souvent tendance à aller dans ce sens. Je doutais tellement de moi que j’avais peur de passer à côté et de ne pas satisfaire un réalisateur ou une réalisatrice. Je me surchargeais d’analyses intellectuelles où je me voyais presque jouer.

Kahina intellectualise toujours ses personnages, mais leur apporte sa propre sensibilité. “Je me dis que si on est choisi pour un personnage, c’est qu’il y a un truc énergétiquement qui correspond. Parfois il n’y a rien à aller chercher ou à aller forcer.” Ainsi, l’actrice fait le point sur les différences qu’elle a avec ses personnages. Dans “Jusqu’ici tout va bien” (disponible sur Netflix depuis avril dernier), pour incarner Souhila, une mère de deux ados -une qui est difficile et une autre invalide – un rôle d’une grande responsabilité, elle a pris le temps de regarder des documentaires, faire des recherches, tout en apportant un peu d’elle. “Il y a des personnages où je vais jouer avec ma propre nature. Ce n’est pas que je n’ai pas grand-chose à faire, mais je vais faire confiance au réalisateur qui m’a choisi. Par contre, si je sens que l’environnement du personnage est très différent du miens, je vais un peu plus observer. Si un personnage me fait penser à quelqu’un de mon entourage, je vais regarder les choses de manière un peu plus poussée.” N’ayez donc crainte si Kahina vous observe un peu plus que d’habitude, c’est seulement qu’elle travaille un nouveau personnage. Une comédienne qui pour un rôle n’hésite pas non plus à faire ressortir certains traits de son caractère, même ceux qu’elle n’aime pas toujours.

Se surpasser, se donner sans limite à ses personnages demande à Kahina une grande énergie, pour prouver qu’elle peut tout incarner et faire tomber les cases. Des cases que le cinéma et la télévision française ont un peu de mal à se défaire, sans compter les nombreux stéréotypes…

Déjouer les règles

Et ces stéréotypes, Kahina a dû y faire face. Avec un nom et prénom maghrébins, les casteurs ont eu souvent du mal à la mettre dans l’une de ces fameuses cases. “Sur le papier je suis maghrébine et dans l’inconscient collectif j’avais forcément grandi en banlieue dans un HLM avec un accent de caillera.” Mais quand Kahina arrive avec sa voix emplie de douceur, ça ne plait pas. La jeune femme parle trop bien… “Je ne me rendais pas compte que c’était des cases. Sur le papier on me mettait des rôles de filles de quartiers très typées. Et quand j’arrivais on me disait que je ne l’étais pas assez. En même temps, si j’arrivais pour jouer des rôles de femmes sans ethnies ou blanches tout simplement, on me disait que j’étais trop typée. Finalement il n’y avait pas beaucoup de rôles pour des femmes comme moi.

Mais Kahina ne se décourage pas pour autant. Elle joue de cette différence et réussit à décrocher des rôles. “J’ai quand même eu la chance de faire beaucoup de rôles où je m’appelle Sabine, Audrey, Leila: j’ai incarné des libanaises, des italiennes, des arabes… et c’est super chouette.” Elle aura gagné sa bataille en étant finalement dans aucune case.

Ainsi, dans “Jusqu’ici tout va bien”, Kahina joue une femme divorcée, qui par choix décide de mettre le voile.

Ne pas caricaturer

On peut dire que “Jusqu’ici tout va bien” casse tous les stéréotypes ou en tout cas tous les préjugés que beaucoup de personnes ont sur les personnes vivant en banlieue, les femmes ou encore sur la religion musulmane, notamment en ce qui concerne le voile, vu comme un signe que l’on impose.

Le programme révèle que non. Car si Souhila, le personnage de Kahina est voilé, ses sœurs pourtant pratiquantes ne le sont pas. De plus Souhila, ne s’impose rien. Le voile fait partie de son quotidien, il est comme une pièce de sa tenue à part entière. “Quand j’ai abordé le rôle, je ne me suis pas posée de question par rapport au voile. Je me suis dit que j’interprète une personne comme tout le monde et c’est la meilleure façon de raconter les choses.

Kahina a fait le choix de ne pas le conscientiser, peur de tomber dans la caricature. Si dans les deux premiers épisodes, l’œil du téléspectateur remarque le voile qui la différencie de ses sœurs, on l’oublie peu à peu par la force de Kahina qu’elle a de véhiculer les émotions. On y voit une femme tout simplement. Une femme libre de ses choix, alignée avec ses valeurs, indépendante, qui donnerait sa vie pour ses deux filles. “Je dirais que le plus important c’est de pouvoir représenter et normaliser le choix des femmes et que l’on nous laisse un peu tranquille.

Photo : Guillaume Plas

Si le voile ne lui a posé aucune difficulté, c’est l’environnement et le caractère de Souhila qu’elle craignait, avec la peur de ne pas réussir à être crédible. “Déjà, j’avais peur de ne pas être crédible d’être maman de deux adolescentes. Je fais un personnage plus âgé que moi, qui a plus de 40 ans.” Une problématique qui s’est posée du côté de la réalisatrice Nawell Madani et de la directrice de casting. Car au-delà de cette différence, Kahina fait beaucoup plus jeune que son âge. Mais par son professionnalisme et la magie des costumes, la comédienne ne peut pas être plus crédible dans ce rôle de mère qui flique en permanence ses filles, de la peur qui leur arrive quelque chose. Une authenticité qu’elle a travaillée d’arrache pieds pour s’imprégner de cette autorité parentale qu’elle n’a pas. “Quand tu es une maman et que tous les jours tu dis à ta fille arrête de faire ça sur un certain ton, ça devient ta nature, ça fait partie de ton quotidien. Donc en tournage tu le sors et ça passe. Pour ma part, quand je devais m’énerver, on avait parfois l’impression que j’étais une copine.” La comédienne a su trouver cette force de “maman”, tout en gardant sa propre fragilité, pour une interprétation d’une grande justesse où le spectateur ne peut être qu’happé par l’histoire de ces femmes.

Une série aux nouveaux visages qui fait du bien

En quelques jours seulement, la série “Jusqu’ici tout va bien” a réussi à se hisser dans le top 10 de Netflix et à faire beaucoup parler d’elle. Pourtant, pour ses têtes d’affiche, si ce n’est Paola Locatelli (connue sur les réseaux sociaux), Nawell Madani a pris le partie prix de ne prendre aucun grand nom du cinéma ou de la télévision française.  Une prise de risque réussi, permettant aux spectateurs d’être face à d’autres talents dont on a moins l’habitude de voir à l’écran.

Un risque que Kahina qui se considère comme “non identifiée et quelqu’un de pas connu” – oui, elle est une femme d’une grande humilité – a tenu à saluer : “C’était une grande responsabilité pour Nawell de prendre pour un personnage qui porte la série tout autant quelle une femme sur un coup de cœur sur un casting, même deux femmes, avec Carima Amarouche qui est extraordinaire. Et prendre ce risque-là, c’est montrer que l’on peut faire bouger les choses. Aujourd’hui je trouve que c’est magnifique et j’en suis très reconnaissante“, dit-elle avec beaucoup d’admiration.

“Jusqu’ici tout va bien” met certes en avant une famille magrébine, mais avant tout, Nawell Madani raconte l’histoire de trois femmes ou même de quatre auxquelles chacune d’entre nous peut s’identifier : celle malheureuse dans son couple qui cherche à être désirée, celle qui ne vit que pour ses enfants, celle qui cherche la reconnaissance et à atteindre ses rêves dans sa vie professionnelle et puis l’adolescente qui cherche encore sa place dans ce monde, pour affirmer sa personnalité en découvrant les prémices de l’amour. Alors si vous n’avez toujours pas vu cette série, je vous conseille fortement de la rattraper lors de vos vacances d’été.

Quant à Kahina, n’oubliez pas son visage. Elle est un petit rayon de soleil qui n’a cessé de sourire et de rire lors de notre rencontre, tout en émanant une douceur infinie. Une comédienne qui n’est pas seulement le nouveau visage du cinéma ou de la télévision française, mais une actrice qui tend à faire bouger les choses et briser l’existence de ces cases.

Pour suivre Kahina Carina : https://www.instagram.com/kahinacarina/?hl=fr