Madame Claude : la beauté féminine face à la déchéance de la prostitution

Madame Claude, Karole Rocher

Crédit Photo : DR

Papesse du proxénétisme, Fernande Grudet (1923-2015), dite Madame Claude, réussit dans les années 1950 à s’imposer dans ce milieu réservé aux hommes. Une femme à la fois captivante et fascinante, que la réalisatrice Sylvie Verheyde a choisi de mettre en lumière pour son sixième film Madame Claude, disponible sur Netflix.

De 1968 à 2000, le film retrace cette France des trente glorieuses, la croissance et le plein emploi, le sexe qui n’est pas encore libéré, les proxénètes fortunés qui se bousculent pour faire vivre leur “marché” auprès de ceux qui ont le luxe de pouvoir y goûter. Parmi eux, il y a Madame Claude, cette femme de province devenue mère à 17 ans. Elle rêve de richesse, de respect et quittera la campagne pour s’installer à Paris. Au départ tout n’a pas été si facile. Elle se retrouve sur le trottoir. La jeune femme analyse alors ces hommes et apprend les codes de ce monde dangereux. En 1950, elle parvient à monter son réseau de prostitution de luxe. Très vite, elle devient la maquerelle la plus redoutable tout en restant discrète.

L’imperfection d’une mère

Tout au long du film, Madame Claude narre sa propre histoire, ses pensées. Portée par Karole Rocher, elle succède à Françoise Fabian, qui incarne le même rôle dans une version de 1977 réalisée par Just Jaeckin. La comédienne donne à ce personnage une férocité indéniable lors de ses crises de colère et en même temps cette fragilité d’une femme, d’une mère qui a du mal à assumer ce rôle. Fernande qui a souffert de sa pauvreté étant enfant, couvre sa fille de cadeaux, grâce à cette nouvelle vie qu’elle s’est construite. Un amour matériel mettant à distance tout geste d’affection. Il en est de même avec ses 200 autres filles, comme elle les appelle. Si elle représente la figure maternelle en leur montrant comment faire leur toilette ou en les amenant en vacances, elle fait passer avant tout les affaires et l’argent. On la voit l’esprit tranquille, se faire faire les ongles, se balader avec son nouvel amant, André ( Paul Hamy) quand ses filles se font tabasser ou “baiser” sans respect. Seul l’argent compte, la douleur passe comme elle le dit avec “une bonne nuit de sommeil”.

 
 
 
 
 
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La fragilité de deux destins opposés

Pas de place pour les sentiments. Blessée par l’amour à 25 ans, Madame Claude s’interdit d’aimer. C’est sa nouvelle recrue, Sidonie (Garance Marillier), qu’elle voit comme son bras droit, qui tente de réanimer ce cœur meurtri. Fille d’un grand politicien, la jeune femme n’a jamais manqué de rien dans son enfance contrairement à sa « nouvelle patronne ». Deux vies totalement opposées et pourtant ces deux femmes se ressemblent : avides de vengeance, elles portent en elles la souffrance, liée à des cicatrices toujours ouvertes. Elles ne rient jamais et quant à leur sourire, il est toujours empli d’une grande mélancolie.

Cette solitude est renforcée par la musique, indissociable des personnages. Elle souligne chacun de leur état d’âme, leur moment de vie. Une douleur parfois véhiculée à travers une mélodie joyeuse, donnant ainsi plus d’ampleur à leur faille. Elle rythme chaque scène de sexe faisant d’elles de véritables œuvres, tels des tableaux aux histoires différentes. Une mise en scène peinte par une couleur différente, nous transportant dans la noirceur de la déchéance à laquelle s’invite l’alcool et la drogue, la passion rougissante entre trois êtres humains ou encore ce bleu glacial soulignant les visages de ces femmes apeurées par la violence qui leur est infligée.

Une caméra sublimatoire

Au-delà de ces images crues et parfois difficiles, la caméra filme les prostituées avec beaucoup de respect. La réalisatrice révèle l’élégance de ces femmes et leur intelligence. La “pute” s’efface, pour laisser place à leur âme d’artiste. Elles sont chanteuses, danseuses, comédiennes. Une caméra qui se veut féminine et féministe où les corps défilent, mais ne se ressemblent pas, révélateur de leurs imperfections. Dans Madame Claude, la femme est loin d’être un objet sexuel, mais une séductrice pour mettre à mal le pouvoir patriarcal. Un corps qu’elles utilisent comme une arme, pour faire tomber les hommes riches dans les mains de la justice.

Soumise malgré elle

Tout au long du biopic, Madame Claude se veut comme supérieure aux hommes qui l’entourent, pourtant, le spectateur va comprendre peu à peu qu’elle lui est soumise. Une soumission que Serge (Pierre Deladonchamp), qui fait partie des renseignements généraux, ne cesse de lui rappeler en l’obligeant à collaborer, si elle ne veut pas tomber. Une femme dont la parole ne vaut rien face à l’homme politique, comme le met en évidence l’un des chefs de la police interprété par Benjamin Bioley, lorsque Sidonie lui fait part de son viol. Une supériorité masculine martelée par cette phrase répétée à trois reprises “Les temps changent”, mais comme le dit si bien Fernande : les temps changent, mais pas le pouvoir de l’homme. Un message fort et contemporain apportant une prise de conscience de cette réalité, qui malheureusement subsiste encore en 2021.

La fin de l’histoire est bercée par des images d’archives, mêlant ainsi la fiction au documentaire. Arrêtée, Madame Claude est relâchée quelques mois plus tard, contrainte de payer un million de francs. Arrachée de ses filles, Fernande marche sur cette plage immense de Nice, faisant écho à ce nouvel abandon, cette solitude qui continue à grandir en elle.

Madame Claude n’est pas seulement le portrait d’une femme complexe, il est une ode aux femmes, à leur puissance et à cette nouvelle génération symbolisée par Sidonie, déterminée à faire évoluer les mentalités.