Lauréna Théllier : la profondeur du jeu

Crédit Photo : India Lange

Du haut de ses 22 ans, la comédienne Lauréna Thellier nous bouleverse à travers chacun de ses personnages. De Fleuve Noir à Mental, ou dans Une affaire française, la jeune femme incarne des rôles puissants aux messages signifiants.

L’année dernière, je rencontrais l’actrice LaurénaThellier lors de la saison 3 du festival CanneSéries. Après une matinée de conférences, de photos et d’interviews, LaurénaThellier me rejoint dans la salle du restaurant de l’hôtel Le Cavendish. Il est 16h lorsque je la perçois se diriger vers ma table. Elle me demande si je suis pressée et me propose de prendre quelques minutes de répit, le temps de commander une tasse de thé. Elle reprend peu à peu ses esprits après cette course folle qu’elle vient d’enchaîner. Le calme retrouvé, elle se lance pour la dixième fois de la journée dans un long récit sur ses projets, ses personnages… 

Les baskets de la victoire

Destinée à une carrière de commerce, c’est l’envie d’une paire de baskets qui va changer les plans de carrière de LaurénaThellier. “Je me suis dit que j’allais faire une journée de figuration pour m’acheter cette fameuse paire de baskets.” La jeune fille se connecte à son compte Facebook et se lance à la recherche de la moindre annonce.

“Je suis tombée sur Ma Loute avec Juliette Binoche, je ne connaissais rien du tout.” LaurénaThellier envoie des photos d’elle. Des clichés loin d’être professionnels, à l’image d’une adolescente qui aime se prendre en selfie pour son compte ses réseaux sociaux. Le réalisateur de Ma Loute, Bruno Dumont tombe sur la candidate âgée de 16 ans. Il lui fait passer plusieurs castings avant de l’intégrer non pas en tant que figurante, mais avec un véritable rôle, celui de Gaby Van Peteghem.” C’est comme ça que j’ai commencé. C’était une grande révélation. Je voulais bosser dans le commerce, mais je voulais aussi bosser avec les chevaux, car je suis une grande passionnée d’équitation. Je ne savais pas trop. Avec Ma Loute, je me suis dit c’est vraiment ça que je veux faire.” 

L’apprentissage du cinéma

Une passion et un amour pour le jeu soudain qui lui font peu à peu prendre conscience que c’est un véritable métier. “J’allais une fois par mois au cinéma regarder un blockbuster, manger mes pop-corn. Je n’avais pas conscience de mes capacités. Je n’ai jamais fait de théâtre et pour moi ce n’était même pas un métier. Ça me semblait très loin.”

LaurénaThellier s’éprend du cinéma. Il devient pour elle vital de jouer, vital de se rendre dans ces salles obscures lorsqu’elle ne tourne pas. “Je suis hyper cinéphile, j’ai découvert mon métier d’actrice en jouant et j’ai appris à aimer le cinéma en y allant. Quand je tourne, je ne vais jamais au cinéma, je ne regarde pas de séries, pas de films. Par contre, dans ma vie de tous les jours, je vais 4-5 fois par semaine au cinéma. Je suis très carrée sur tout ce qui sort.

LaurénaThellier met du temps à se considérer comme une actrice à part entière. Devant ses ami-e-s en fac de droit, de communication ou de commerce, elle n’ose pas dire “Je suis actrice”, un mot qui ne lui semble pas être justifié. “Dès que je disais ‘actrice’, il y avait un truc qui se passait dans le regard des autres qui faisait que je ne me sentais pas légitime pendant plusieurs années. Maintenant oui. C’est au fur et à mesure des tournages, après Le ciel attendra, Fleuve noir, K Contraire, Mental, que maintenant je me sens actrice, mais j’avais du mal au début. Aujourd’hui, je suis dans une vraie construction de carrière avec des projets différents.

L’art de jouer

Autodidacte, LaurénaThellier poursuit son chemin sans prendre de cours de théâtre ou intégrer une grande école de cinéma. Ça ne lui pose aucun problème, la caméra ne lui fait pas peur. Bien au contraire. Entre elle et cet objet d’introspection, il y a un lien qu’elle ne peut expliquer, mais elle se sent bien face à elle. Son jeu et ses personnages prennent vie naturellement pour raconter l’histoire du scénariste ou du réalisateur. Elle tend à faire passer des messages importants, envahit les spectateurs de multiples émotions à travers des personnages qui la nourrissent humainement et intellectuellement.

À travers leur histoire, elle se documente, lit, se renseigne pour être la plus juste. ” Je viens de faire une série pour TF1 sur l’affaire du petit Grégory qui s’appelle Une affaire française. J’ai découvert exactement ce qu’était l’affaire du petit Grégory en lisant le bouquin de Murielle Bolle que j’interprète. Dans Mental, j’ai appris ce qu’étaient des troubles psychiques. J’ai eu des rendez-vous avec des psychiatres. C’est ça qui me passionne fondamentalement dans mon métier.

Faire oublier les clichés

L’actrice débute sa carrière avec des personnages très forts aux problèmes psychologiques que ce soit dans Fleuve Noir, sorti en 2018, ou dans la série Mental, diffusée sur France TV Slash. Des jeunes filles dans lesquelles LaurénaThellier voit beaucoup de différences. “Dans Fleuve noir, c’était très dans l’expression physique, le handicap. On le voyait physiquement, dans la manière de crisper mes mains, dans mon visage. Des choses que l’on ne voit pas du tout chez Estelle.

Elle aborde Estelle comme une adolescente normale et fait de son trouble psychique une force qui rend son personnage attachant et aimé de tous. “Je l’ai vraiment accompagné comme une jeune fille, une adolescente, qui vivait sa vie, ses histoires d’amour.

Deux protagonistes qui lui ont beaucoup appris sur son travail en tant que comédienne, mais aussi sur le plan personnel. “Dans Fleuve Noir, ce que j’ai aimé, c’est mon dépassement personnel. Je me souviens, quand j’ai passé les castings, j’étais avec mon grand frère. Quand je suis revenue dans la voiture, j’étais limite en larmes, car je me suis dit que je n’allais pas y arriver.” Lauréna Thellier se souvient se sentir complètement démunie. Elle a besoin qu’on l’aide, qu’on l’accompagne et prend pour la première fois des cours de théâtre.

Pour Mental, c’est autre chose. Elle aime profondément Estelle. “Je suis fière de l’avoir créé de toute pièce avec le réalisateur et les auteurs.” Un premier rôle principal qui lui offre beaucoup de responsabilités sur un sujet sensible.

La comédienne doit tout faire pour ne pas tomber dans les stéréotypes et les clichés des troubles mentaux. “Le scénario était vraiment très bien écrit. Si j’avais senti que l’on se moquait d’Estelle, je ne l’aurais pas fait. Ce que je trouve fantastique avec Estelle, c’est que je l’aime, mais les téléspectateurs l’aiment aussi parce que les scénaristes, les réalisateurs, les autres personnages l’aiment. Pour ne pas tomber dans un quelconque cliché, je l’ai abordé comme une adolescente normale, dans son monde, introvertie… avec des troubles psychiques. Je n’ai pas fait une jeune fille atteinte de troubles psychiques.

Un personnage hors des codes, par sa façon de s’habiller, sa façon de penser, mais en même temps adapté à la société actuelle. Elle réussit à se faire accepter de tous. Un beau message que Lauréna Thellier transmet à travers Estelle. L’espoir que ce monde n’est pas si cruel, que l’on peut tous être ami-e-s malgré nos différences, nos problèmes. “Je trouve que c’est un beau message d’intégration. J’aurai aimé à l’époque quand j’étais au collègue ou au lycée l’avoir comme modèle. Elle montre que tu peux être intégré dans une société, dans un groupe de pairs, en étant différent des autres et je trouve que c’est formidable. Ça me plaît de défendre et de déstigmatiser les pathologies mentales.

La série nous introduit au cœur de ces personnes et nous soumet à la réalité des choses : ils sont comme nous. “La société a tendance à les mettre dans des cases. Ils sont considérés comme des fous ! Dès que l’on parle d’hôpital psychiatrique, il y a quelque chose de très dédaigneux. Avec Mental, comme les spectateurs aiment les personnages, ils s’identifient et se disent que ça peut être l’un de leurs camarades.

Ne pas tomber dans la caricature

On retrouvera prochainement LaurénaThellier dans un autre rôle à la fois délicat et puissant dans la série Une affaire française, diffusée sur TF1.

La série relate l’histoire du petit Grégory. L’actrice se glisse dans la peau de Murielle Bolle. Un projet intense que la jeune femme voit comme un challenge. Elle sait qu’elle est attendue au tournant. Les journalistes lui ont bien rappelé…  “Pour l’anecdote, je n’avais pas commencé un seul jour de tournage que la veille de ma première journée on a annoncé que c’était moi qui allais faire Murielle Bolle. Je me suis retrouvée avec je ne sais combien d’articles, c’est-à-dire que là tu tapes mon prénom sur internet, c’est ‘LaurénaThellier, Murielle Bolle’ qui vient dans les recommandations. Avec des montages photos avec ma tête et celle de Murielle Bolle.

La pression et l’angoisse montent. Mais l’actrice met vite ses états d’âme de côté pour donner le meilleur d’elle-même. Une affaire douloureuse qui pousse Lauréna Thellier à ne pas être dans le copier-coller de Murielle Bolle et à éviter de tomber dans une certaine caricature. Exit l’accent du nord, elle se réapproprie cette femme avec ses codes. “C’est une affaire sensible qui a fait beaucoup de dégâts dans la réalité de la vie des gens que l’on incarne. Je me suis dit que je ne pourrais jamais être mieux que l’original. J’ai vraiment travaillé le personnage de Murielle Bolle comme un personnage de fiction.

Lauréna Thellier sera également dans le prochain téléfilm d’Akim Isker Dans l’enfer des foyers, une adaptation du livre de Lyes Louffok diffusée sur France 2.  

En attendant, vous pouvez voir et revoir les saisons 1 et 2 de Mental sur France TV Slash. Une discussion qui s’achève avec une jeune actrice à la grande sagesse faisant résonner une belle humilité.