Suzuya : Ses mots rythmés par la réalité des maux

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Crédit Photo : Koria

“Condamné” est l’œuvre d’un artiste authentique, qui refuse de se faire passer pour une personne qu’il n’est pas. Le rappeur Suzuya se montre tel qu’il est, et puise de sa sagesse pour délivrer ceux et celles qui se pensaient condamnés à une vie sans rêve.

Les rencontres par visioconférence sont devenues depuis quelques mois notre meilleur allié. Mais de temps à temps, la technologie nous joue des tours : “Suzuya a un petit souci de connexion“, m’explique son manager. Les aléas d’internet…

Jeune et débrouillard, le rappeur réussit à prendre la main. Bien qu’il n’y soit pour rien, il s’excuse : la bonne éducation, que j’apprécie, puisqu’elle se fait tellement rare de nos jours. Remis de ce petit incident, nous débutons ce voyage dans l’univers à la fois lumineux et sombre, doux et brut de Suzuya.

Poésie musicale

Au collège, Suzuya maîtrise l’art des mots pour faire fructifier de jolis poèmes qu’il partage sur son compte Instagram. Ses abonnés apprécient et en redemandent. Petit à petit, le jeune homme veut aller plus loin : pourquoi ne pas mettre ces rimes en musique ? “Je me suis entraîné pour faire des meilleurs sons. Après j’ai sorti ma mixtape et j’ai continué à sortir d’autres sons et j’ai progressé au fil du temps.” Depuis, un artiste est né. Le garçon est de nature discret, n’aime pas étaler sa vie qu’il préfère mettre en musique ou simplement en poème : “Je n’aime pas discuter avec quelqu’un et lui dire les choses que je ressens comme ça. Je préfère le faire en musique, ça te permet de dire les choses et de ne négliger aucune émotion.

 

 
 
 
 
 
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 On pourrait penser que la musique est une échappatoire pour l’artiste, lui offrant la possibilité de se libérer de ses maux. Mais Suzuya assure : “Non, je peux les garder au fond de moi (les émotions), mais c’est mieux de les utiliser parce que tu peux en faire de l’art et c’est cool. Ce serait bête de les laisser là où elles ne servent à rien.” Une belle vision des états d’âme de l’Homme, qui sont finalement ce qui nous construit, révélant parfois notre côté artistique. Le regard tourné vers autrui Si le rappeur préfère se dévoiler à travers ses textes, il prend le temps d’écouter ceux qui ont besoin de se confier. Un rapport à l’humain important qu’il prône sur son compte Instagram, devenu au fil du temps un “lieu” de confidence et de bienveillance. “Au départ, quand j’ai créé mon compte Instagram je n’avais pas de conseils. J’avais juste des photos de manga et je parlais avec des gens comme ça, c’était vraiment un compte random. Puis, j’ai commencé à donner des conseils en story, à faire des trucs que j’avais appris pour aider les gens et à partager mes propres poèmes.

Dans cette société parfois austère, les abonnés de Suzuya trouvent enfin un moment de réconfort. Une écoute essentielle pour le jeune homme qui encourage à s’ouvrir sur le monde certaines personnes un peu renfermées: “C’est quelque chose d’important parce qu’il y a des gens qui n’ont personne dans leur entourage pour les aider. Il y a des personnes qui restent toujours sur leur opinion, elles pensent qu’elles n’ont plus rien à apprendre et elles vivent en pensant que c’est la meilleure façon d’exister. En les écoutant, j’ai la possibilité d’aider des gens à ouvrir leur esprit et c’est un cercle vertueux : j’aide des gens avec des conseils – c’est à prendre ou à laisser – mais s’ils arrivent à en tirer le bon côté, ils peuvent s’en servir dans leur vie et eux aussi pourront aider d’autres personnes. C’est ça l’objectif principal : c’est que les gens puissent s’aider entre eux grâce à moi.

 Suzuya souligne ainsi qu’il reste encore des êtres humains emplis d’humanité et de sensibilité. D’ailleurs, en parlant de sensibilité, comme tout le monde, le jeune n’homme n’est pas insensible à l’amour. Un sujet qui est le fil conducteur de son premier album “Condamné“.

L’amour en 2021 ?

Comme beaucoup d’autres personnes je pense, j’ai fait, à un moment donné de ma vie, de l’amour une priorité où je me disais que c’était quelque chose d’indispensable, alors qu’en fait ça doit juste être un plus. Tu n’as pas besoin de ça pour vivre, tu ne dois pas juste te concentrer que sur ça, parce que ça te ralentit. Pour moi l’amour doit seulement être un bonus.” Et l’artiste le fait bien comprendre : il ne compte plus faire d’effort pour être à la hauteur des exigences de sa moitié. “S’il y a une personne qui est là et qui t’accepte comme tu es tant mieux, mais si tu dois changer pour une personne, il ne faut jamais faire ça, c’est toxique“, avant d’ajouter “il y a tellement de choses plus intéressantes à faire dans la vie.

Des relations qui sont de plus en plus compliquées à l’ère des réseaux sociaux où il est plus facile de se faire du mal. Une question sur laquelle Suzuya ne s’était pas vraiment penché, même s’il était évident pour lui que les réseaux sociaux peuvent nuire à notre rapport à l’autre : “Aujourd’hui tu peux développer des sentiments pour une personne juste en parlant sur les réseaux sociaux. Tu es plus exposé à l’amour en quelque sorte et donc plus explosé aux blessures. Il y a plein d’autres exemples : le fait de parler avec une personne parce qu’elle habite loin et puis tu te lasses, c’est quelque chose qui est assez fréquent et ça peut faire souffrir. Le fait que la personne ne prenne pas la conversation au sérieux et que toi tu es à fond, il y a plein de facteurs comme ça… ou même tu peux apprécier une personne par message et quand tu la rencontres en vrai tu vois que ce n’est pas la même chose, du coup tu as l’impression d’avoir aimé une personne qui n’existe pas, donc oui je pense que ça contribue au fait que les gens puissent souffrir.

 

 
 
 
 
 
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Mais le rappeur nuance tout de même ses propos : “Mais après, ça va dans les deux sens. Ça peut être bien aussi, tu peux même te faire des amis, je me suis fait plein d’amis cool comme ça et c’est des amis que j’aime beaucoup. En vrai c’est à double tranchant, il ne faut pas en vouloir aux réseaux de faire du mal alors qu’ils font du bien à côté, il n’y a rien qui fait que du bien.” Une notion du bien et du mal, que Suzuya a su mettre avec justesse en lumière dans son album.

“Je veux être le plus sincère possible”

“Condamné” n’est pas juste un album composé de morceaux qui se suivent les uns des autres. Il est une véritable histoire avec un début et une fin à écouter dans le bon ordre, bien que Suzuya ne veuille pas faire “le mec chiant, chacun est libre de l’écouter comme il veut.” Mais ne pas suivre correctement l’arc narratif, fait perdre l’authencité des messages que l’artiste tend à véhiculer : “Si la personne veut comprendre le plus possible ce que je cherche à transmettre sincèrement il faut qu’il l’écoute dans l’ordre.

L’opus démarre tout en mélancolie et docilité, qui pour le rappeur risque de surprendre certains des auditeurs. Un préambule essentiel pour saisir la brutalité de la vie et le sens multiple du mot “condamné” : “Quand je dis condamné, c’est parce que malgré tous les efforts que tu fais ça ne peut pas disparaître : les sentiments, le fait qu’une personne ne soit plus là, au sens propre. Là, peu importe, ce que tu peux dire ça ne changera pas. C’est pareil pour d’autres choses ça ne peut pas changer peu importe ce qui arrive et peu importe le chemin que tu prends c’est la même issue à chaque fois.” Les compositeurs nous poussent alors à une remise en question de nos pensées, nos agissements, notamment dans le premier morceau dont les paroles sont bercées par une certaine sagesse : “J’hésite entre mener une vie à chercher la fleur parfaite, à mener une vie ou je me dis que toutes les fleurs sont parfaites…

Des mots, inspirés du film le dernier Samouraï. Le rappeur hésite quelques instants avant de m’en donner le sens : “Je vais spoiler, tu es sûre ?“, tant pis le film aura tout de même une autre saveur après cette jolie explication : “Le chef des samouraïs aime trop les cerisiers, et du coup il parle avec un gars devant l’arbre et il dit : tu pourrais mener à chercher la fleur parfaite et ce ne serait même pas une vie gâchée, c’est un premier point de vue. Vers la fin du film, avant de mourir la dernière chose qu’il voit c’est un cerisier, et juste avant de mourir il dit : mais en fait toutes les fleurs sont parfaites.” Pour le rappeur, son texte tend à faire réfléchir sur la quête effrénée de la perfection qui n’existe peut-être pas et que l’on ne trouvera sûrement jamais ou nous pousse tout simplement à nous laisser porter par ce qui nous entoure en nous disant que la beauté et partout. Une introduction nostalgique et lyrique qui laisse place à cette vie écorchée par des entraves qu’il est impossible de contrôler : “À la fin tu écoutes les sons et tu as envie de te battre.

Ce premier opus est bien plus qu’un album, il est l’essence même de Suzuya, qui s’est dévoilé le plus sincèrement possible auprès des gens qui le suivent, l’écoutent. : ” Je ne cherche pas à brider des trucs, à faire attention à ce que je dis, – enfin si, il faut faire attention pour pas que ce soit déformé – mais je ne vais pas dire ‘je ne dois pas dire ça’ parce que les gens vont me trouver bizarre. Au contraire, je veux être le plus sincère possible et c’est cette empreinte que je veux laisser de moi sur terre.

Blessé, déçu par la vie, par ses relations ? Vraisemblablement, comme beaucoup d’êtres humains… Mais celui au timbre de voix cassé, a fait de ses épreuves une force pour délivrer des messages à travers une poésie intègre qui est à la fois libératrice tout en nous confrontant aux obstacles auxquels on ne peut échapper.